CECI N’EST PAS UNE GUERRE DE RELIGIONS

On veut nous faire croire à une guerre de religions. On veut nous monter les uns contre les autres. Le crime commis hier sur la personne de Jacques Hamel, prêtre de 85 ans, à l’heure de la messe, au milieu de sa petite communauté dans cette église de Saint Etienne-du-Rouvray, en Normandie, ne relève pas de la guerre au nom d’une religion. C’est le meurtre d’un barbare qui ne connaissait même pas une sourate du Coran ! Des jeunes gens dans une dérive psychologique, affective, culturelle au sens large, se jettent sur les épaules le manteau du crime au nom de Daesh pour exister, et être reconnus au moins une fois dans leur vie… Ce n’est pas une guerre de religions. Au secours Voltaire…

Jacques Hamel.
Jacques Hamel.

TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, VOLTAIRE

CHAPITRE XXIII

PRIÈRE À DIEU.

Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou on violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir.

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MICHEL DE L’HOSPITAL : LA TOLERANCE COMME PREMIERE DES VERTUS

Touche à tout de la Renaissance, écrivain et poète, juriste, garde des Sceaux, sorte de Super Premier Ministre de Catherine de Médicis, Michel de L’Hospital est un personnage qui mérite d’être connu. Il est mort un 13 mars, de l’année 1573. L’occasion de découvrir ou de redécouvrir cette figure de la modération en matières politique et religieuse. L’occasion aussi de se demander si la tolérance est bien  « la première des vertus », comme il l’affirmait lui-même…

LE SAGE ET LES FOUS

Portrait de Michel de L'Hospital, réalisé au XVIème siècle.
Portrait de Michel de L’Hospital, réalisé au XVIème siècle.

1560. Un tiers de la noblesse française est réformée. C’est-à-dire protestante. Elle suit la doctrine religieuse du réformateur Calvin. Elle soutient les Condé, maison qui donnera naissance au futur Henri IV, protestant qui deviendra roi de France comme chacun sait. Mais la maison royale demeure catholique. Le tout jeune roi de France, François II (15 ans) vient d’épouser Marie Stuart (tout aussi adolescente). Et tous deux sont soutenus par les Guise, farouches catholiques. Le contexte, vous le reconnaissez : c’est celui, tragiquement historique, des Guerres de Religions, qui déchirent la France depuis les années 1520, et qui ne s’achèvent qu’avec ce siècle, vers 1598. Michel de L’Hospital a donc fort à faire. Huguenot lui-même, il réussit d’abord à empêcher que l’Inquisition ne revienne en force pour poursuivre les « hérétiques ». Puis, il prononce le célèbre Discours de tolérance devant les états généraux d’Orléans, le 13 décembre 1560, dans le vain espoir de rapprocher les Français :  « Tu dis que ta religion est meilleure. Je défends la mienne. Lequel est le plus raisonnable : que je suive ton opinion ou toi la mienne ? Ou qui en jugera si ce n’est un saint concile ? Ôtons ces mots diaboliques, noms de partis, factions et séditions, luthériens, huguenots, papistes, ne changeons le nom de chrétiens ! ». Comprenez : gardons notre désignation commune de « chrétiens », sans distinction. Quelle noble intention ! Malheureusement, notre humaniste, par sa position raisonnable et modérée, ne parvient qu’à échauffer davantage les enragés de pouvoir. Les fous de Dieu. Il échappe de peu aux massacres de la Saint Barthélémy. 24  août 1572. Le jour le plus sanglant de ces guerres de religions. Le jour emblématique du fanatisme à l’œuvre. Michel de L’Hospital en réchappe, donc. Mais son humanisme est meurtri au plus intime. Il se retire des affaires politiques. Il se retire du monde. Il s’éteint quelques mois plus tard.

Statue de Michel de L'Hospital devant le Palais Bourbon.
Statue de Michel de L’Hospital devant le Palais Bourbon.

LA TOLÉRANCE : UNE VERTU ?

Le grand Voltaire désignait  Michel de L’Hospital comme   « le plus grand homme de France, si ce titre est dû au génie, à la science et à la probité réunies. » Essai sur les mœurs et l’esprit des nations.

Voltaire s’est certainement inspiré du Discours de Tolérance de Michel de L’Hospital pour rédiger son Traité sur la Tolérance, paru  1763. Ce texte fondamental, dans l’histoire de la tolérance et dans l’invention de la laïcité en France, vise la réhabilitation de Jean Calas. Ce protestant avait été, à tort, accusé d’avoir assassiné son fils afin d’éviter que ce dernier ne se convertisse au catholicisme. Il fut exécuté malgré l’intervention véhémente, et risquée, de Voltaire.

Dans ce Traité sur la Tolérance, Voltaire invite  lui aussi à la tolérance entre les religions et prend pour cible le fanatisme religieux. Lutte du philosophe contre les « fous de dieu », toujours actifs au Siècle des Lumières … :

Mais en bonne foi, parce que notre Religion est divine, doit elle régner par la haine, par les fureurs, par les exils, par l’enlèvement des biens, les prisons, les tortures, les meurtres, et par les actions de grâces rendues à Dieu pour ces meurtres ? Plus la Religion Chrétienne est divine, moins il appartient à l’homme de la commander.

Et Voltaire de citer d’illustres prédécesseurs pour argumenter son propos :

C’est une impiété d’ôter, en matière de Religion, la liberté aux hommes, d’empêcher qu’ils ne fassent choix d’une Divinité ; aucun homme, aucun Dieu ne voudrait d’un service forcé. (Apologétique, ch. 24.)

Persécuterons-nous ceux que Dieu tolère ? Saint Augustin

Et Voltaire de conclure :

Quand nos actions démentent notre morale, c’est que nous croyons qu’il y a quelque avantage pour nous à faire le contraire de ce que nous enseignons ; mais certainement il n’y a aucun avantage à persécuter ceux qui ne sont pas de notre avis, et à nous en faire haïr. Il y a donc, encore une fois, de l’absurdité dans l’intolérance. Fin du ch. 15 du Traité sur la Tolérance.

Traité sur la Tolérance, Voltaire, 1763.
Traité sur la Tolérance, Voltaire, 1763.

Le Traité sur la tolérance est vraisemblablement toujours d’actualité. En effet, en janvier 2015, à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo, l’ouvrage de Voltaire se place au sommet des ventes des librairies un peu partout dans le monde. Ses ventes en France passent de 11 500 en 2014 à 185 000 exemplaires fin 2015…

La tolérance : force des faibles ou faiblesse des forts ? Michel de L’Hospital, Voltaire ont ouvert la voie d’un combat qui paraît sans fin…

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