Bien sûr nous sommes tous abasourdis par le massacre de ce vendredi 13. Bien sûr nous sommes sonnés par la détermination froide des « soldats du Djihad » qui ont tiré sans état d’âme sur la foule jeune et joyeuse du Bataclan. Sur la clientèle des bistrots et restaurants des 10ème et 11ème arrondissements. Bien sûr nous sommes horrifiés par leur acte dénué de sentiment. Méthodique. Calculé. Prémédité. Bien sûr nous restons sans voix face à la tragédie. Pourtant, il faut comprendre. Pour éviter les amalgames. Tarte à la crème servie abondamment par les réseaux sociaux. Comprendre surtout pour prendre conscience des enjeux de cette nouvelle guerre mondiale qui ne dit pas son nom. Qui a simplement déplacé le « théâtre des affrontements et des opérations » sur le terrain du Moyen Orient.
DAESH OU DAECH ?
Peu importe. Ce mot est l’acronyme de l’arabe : ad Dawla al Islamiyya Fi al Iraq wa s Sha. Ce qui signifie : État Islamique en Irak et au Levant. Organisation terroriste qui, en 2013, s’est rebaptisée elle-même : État Islamique. La désigner d’ailleurs de cette façon lui confère une certaine légitimité « politique ». Dire « Daesh », c’est considérer l’organisation comme ce qu’elle est réellement : une hydre hideuse née sur les décombres d’un Moyen Orient vide de perspectives politiques et surfant sur les haines fratricides entre sunnites et chiites. Un monstre né des négligences de l’Occident aussi, confondant intérêts économiques et valeurs démocratiques. Une guerre fratricide qui devient mondiale. Comment?
L’embryon de l’État Islamique se forme en Irak ; en effet, pour combattre l’occupation américaine de 2003, une poignée d’anciens officiers de Saddam Hussein et de fondamentalistes irakiens sont rejoints par des djihadistes d’Afghanistan, et prêtent allégeance à Al Qaida. Ils appartiennent à la branche sunnite de l’Islam et déclarent la guerre aux traîtres : les infidèles d’Occident et leurs frères musulmans chiites ! La suite, vous la connaissez : décapitations d’otages occidentaux, actes terroristes en tous genres, implication des États Unis dans la course poursuite contre Oussama Ben Laden. Et dispersion de ce groupe terroriste, rejeté même par les sunnites modérés hors d’Irak. En 2007-2008, leur mouvance se réduit à une poignée de fous furieux qui se terrent dans le désert irakien.

Comment expliquer le retour en force de l’État Islamique ?
Deux raisons. D’abord, les humiliations subies par les sunnites depuis la mise en place du nouveau régime irakien. Le mot « humiliations » est d’ailleurs faible. Les milices chiites se sont livrées dans certains quartiers de Bagdad à une véritable « épuration ethnique »… Ensuite, l’échec du Printemps arabe en Syrie. 2011. Bachar Al Assad exploite les divisions confessionnelles de son pays et le flou des aspirations démocratiques de ceux qui font le Printemps ; il lâche les loups : il libère des centaines de combattants salafistes, détenus jusqu’alors dans ses prisons ; flots de sauvages qui vont rejoindre les rangs des organisations fondamentalistes : le Front al Nostra, branche syrienne de Al Qaida ; et Daesh, apparue en 2013, et beaucoup plus ambitieuse que Al Qaida sur la scène du djihadisme mondial.
QUE VEUT DAESH ?
Construire un État avec des frontières géographiques, qui ne seraient plus celles dites de « Sykes-Picot » héritées de la Ière Guerre mondiale. Fonder cet État sur la Loi Islamique, la charia. D’ailleurs, cet État existe déjà : il a ses dirigeants. Le calife a plusieurs visages. Peu importe leurs noms et leurs identités véritables. Ils sont les têtes de l’hydre. Il a ses « territoires » : régions oubliées d’Irak et de Syrie ; et il gagne du terrain sur les frontières sud de l’Asie centrale (notamment en Tchétchénie et dans le Caucase). Il gangrène peu à peu l’Afrique. Là-bas, il porte simplement un autre nom. Il a son organisation bureaucratique : quatre comités consultatifs chargés chacun des questions religieuses, militaires, sécuritaires et de conseil. Cette structure se retrouve à échelle réduite dans 9 provinces de Syrie et dans 7 d’Irak. Un État dans les États. Ou une espèce de cellule cancéreuse qui nécrose petit à petit un corps sain. Ça ne vous rappelle rien… une nation humiliée… qui se relève… et accouche d’un monstre… qui dévore l’Europe et ses enfants dans un processus industriel de destruction….?
QUI SONT LES DJIHADISTES ?
Une intelligentsia, des têtes pensantes de l’hydre. Certainement. Qui entretiennent le mirage du martyr et du paradis. Qui donnent aux oubliés des sociétés capitalistes du monde entier une identité, une reconnaissance en leur vendant une responsabilité et un prestige dans une guerre sainte. Et des milliers de soldats du Djihad. Les oubliés de la richesse impérialiste. Des sunnites humiliés. Les laissés pour compte de l’intégration dans leurs pays respectifs. Dont plusieurs centaines d’Européens, comme Mehdi Nemmouche, accusé de la tuerie du Musée juif de Bruxelles. Comme Ismaël Omar Mostefaï, l’un des kamikazes, Français, du Bataclan…
QUELLES SONT LES RESPONSABILITÉS DE L’OCCIDENT ? DU RESTE DU MONDE ?
Elles sont nombreuses. Et complexes. D’abord, l’Occident a fermé les yeux sur les nombreux dons qui permettent aux terroristes de s’acheter des armes et des véhicules. On soupçonne les monarchies du Golfe, l’Arabie Saoudite, le Qatar. Mais on ne veut pas froisser ces partenaires commerciaux de poids… Les armes ? Elles viennent des États Unis, de Russie, de Chine, de 6 pays Européens… Les rapports de l’ONG Conflict Armament Research sont édifiants… Quant aux véhicules, le Président de l’ONG Counter Extremism Project, Marc Wallace, a demandé à Toyota une traçabilité plus fiable sur la vente de ses modèles Hilux et Land Cruiser au Moyen Orient. Ensuite, on ferme les yeux aussi quand Daesh s’empare des réserves de la Banque Centrale de Mossoul, deuxième ville d’Irak. Impôts extorqués dans les zones occupées. Rançons issues des prises d’otage. Dons de fidèles radicalisés…
Quant à la politique diplomatique, c’est un jeu de stratégie complexe, qui tantôt oppose, tantôt unit des pays appartenant aux anciens blocs est/ouest. Ce jeu d’alliances évoluant au gré des décisions plus ou moins arbitraires de certains chefs d’État. Poutine a par exemple bousculé l’échiquier politique dans cette zone, en soutenant Bachar Al Assad, et en invitant à sa table de négociations les États Unis, l’Arabie Saoudite et la Turquie. L’Iran, l’Irak et son hezbollah chiite, les ennemis d’hier, rejoignent cette coalition. Déplaçant ainsi vers l’Orient la possibilité d’une résolution du conflit en Syrie. Sa stratégie ? Soutenir Assad dans la lutte contre Daesh ; puis laisser aux Syriens le choix d’un successeur à ce dirigeant si décrié. En frappant la Syrie, la France s’est attirée les foudres des deux camps qui divisent la Syrie… D’où la réponse terrifiante de ce vendredi 13…
Comment mener une guerre contre la barbarie tout en protégeant les Droits de l’Homme et en respectant les valeurs de la République et de la Démocratie ? C’est le grand défi de ce conflit véritablement mondial…