Si vous avez raté ce petit bijou de spectacle en mai dernier, rattrapage ce samedi, le 10 septembre. Ils sont 14, de 14 à 31 ans. Ils sont motivés, joyeux, investis. Parce qu’ils portent sur scène, et parfois pour la première fois, la parole de leurs parents. L’histoire de leur famille. La trajectoire de leurs anciens. La destinée d’une infime part d’humanité. Qui a les visages de toute l’humanité. Ils sont 14. Et ils sont les chaînons marquants des générations X, Y et Z, qui se succèdent, qui migrent, à travers les territoires et les années, riches de leurs mythologies familiales. Pour entendre cette parole bouleversante, rendez-vous au Palais du Littoral le samedi 10 septembre à 20h.
Youmni Aboudou, Caroline Desmet, Laure Diacre, Clara Dubuis, Victor Gosset, Lison Graszk, Dine Halifa, Séphora Henni, Anush Kazarian, Nina Lachery, Mehdi Laidouni, Hélène Vanden Bril, Florian Dupré-Degrave et Kalid Bazi sont nés à Grande Synthe, à Saint Pol sur Mer, à Dunkerque ou à Gravelines. Ils sont les acteurs choisis par Brigitte Mounier, Directrice de la Compagnie des Mers du Nord et metteure en scène, pour ce projet européen qui dépasse largement les frontières de l’Europe. Parler des migrations. Simplement. Sans polémique. En s’attachant au vécu des êtres. De septembre à décembre 2015, ces jeunes ont écrit leur histoire. Sont remontés le long de leur arbre généalogique pour explorer les ramifications. Françaises, maghrébines, portugaises, italiennes, polonaises, biélorusses, arméniennes, éthiopiennes, malgaches, comoriennes.
En 2008, 3,1 millions de personnes âgées de 18 à 50 ans, nées en France métropolitaine, sont enfants d’immigrés. La moitié d’entre elles ont moins de 30 ans. 50 % ont deux parents immigrés, 20 % sont descendants d’immigrés uniquement par leur mère et 30 % uniquement par leur père. La moitié des descendants directs ont un parent immigré né en Europe et quatre sur dix sur le continent africain, essentiellement au Maghreb. Les descendants les plus jeunes ont des parents d’origines plus variées et plus lointaines. Les enfants d’immigrés de 18 à 30 ans ont une fois sur deux une ascendance africaine. Près du quart des descendants ayant la nationalité française ont au moins une autre nationalité. Pour la grande majorité des descendants, la langue française a été transmise dans leur enfance par au moins un de leurs parents. À la génération suivante, les descendants devenus eux-mêmes parents parlent français avec leurs enfants vivant en France, dans 99 % des cas. Source : INSEE. Le site : ici.

Donner chair aux statistiques. C’est ce qu’avait déjà fait Brigitte Mounier en 2003. Synthe Saga : spectacle qui donnait la parole aux grands-parents et aux parents. Aux pionniers de l’immigration. Parfois à leurs enfants. Encore petite, Lison, qu’on retrouve aujourd’hui, n’avait que 6 ans à l’époque. Kalid était tout jeune aussi. Il en a fait du chemin depuis. Acteur professionnel et réalisateur. Beau parcours au service des arts. Mais ce n’est pas que leur chemin à eux qui est évoqué sur la scène du Palais du Littoral. C’est plutôt la croisée des chemins. Des questionnements. D’où viennent leurs parents et les parents de leurs parents ? Est-ce qu’ils se sentent Français, et qu’est-ce ça signifie pour eux ? Quel regard portent-ils sur les migrants d’aujourd’hui ? Avec leurs mots et leurs sensibilités, ils répondent à ces questions difficiles. Quand on les pose d’ailleurs à la metteure en scène, elle répond avec un sourire dans la voix :
Je suis une Méditerranéenne aux yeux bleus. Être française, pour moi, ce n’est pas seulement me sentir appartenir à un territoire, c’est surtout défendre les valeurs de la République, c’est diffuser et faire rayonner son message d’humanité.
Humanité. C’est ça qui est joué. Et chanté aussi. Et chorégraphié. Brigitte Mounier a fait appel à la remarquable cheffe de chœur Nadège de Kersabiec : formée à la Maîtrise de Radio France et ayant chanté auprès des plus grands, elle revisite avec les jeunes acteurs des chants traditionnels des régions d’origine et réserve des surprises polyphoniques prometteuses. Thierry Duirat, comédien, musicien et danseur, s’est chargé de la maîtrise du geste. Entre Tanz Theater et chorégraphie, les corps évoluent avec les mots et les histoires.

Lola, Bachir, Greta, Knut et les autres sont d’ici et d’ailleurs. Et leurs histoires ont engendré d’autres projets en Europe. Le KJT de Dortmund, sous la direction de Andreas Gruhn, travaille parallèlement sur un spectacle du même type. Pour faire entendre la voix des migrants d’Allemagne. C’est la même volonté en Suède et au Portugal. De la volonté, il en faut pour désarçonner les idées reçues et la langue de bois sur ce thème. Générations X, Y et Z, dans toutes les langues, ils sont, comme le dit Brigitte
ceux qui représentent l’avenir, de jeunes gens en construction, ces générations à qui nous allons léguer notre « bazar ».
Bazar ou crise. S’inspirant de l’antifasciste et humaniste Antonio Gramsci, une parole du spectacle accroche la pensée :
Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté.
Ajoutons celle-ci, de ce même intellectuel visionnaire, qui permet de comprendre pourquoi des spectacles de ce type sont plus que nécessaires :
La crise consiste dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître. Dans ce clair obscur surgissent les monstres.
Pour dompter les monstres, allons écouter la parole joyeuse, colorée et essentielle de Lola, Bachir, Gretel et Knut, jeudi 19 et vendredi 20 mai, à 20h, au Palais du Littoral de Grande Synthe. 03 28 21 66 00.
Le site de la Compagnie des Mers du Nord : ici.
La page Facebook de la Cie des Mers du Nord : là.
Merci à Brigitte Mounier de nous avoir confié les photos.