HOMMAGE AU CH’TI

Vous l’avez sûrement visionnée. Elle fait le tour du net ces jours-ci. La vidéo de Norman sur les chtis remet pas mal d’idées reçues en place, notamment à propos de la population des Hauts de France. Un petit cours de « parler chti » pour terminer. Mais pas grand chose finalement sur ce dialecte, langue d’oïl tout ce qu’il y avait de plus officielle,  parlée autrefois depuis le nord de Senlis jusqu’à Mouscron, et de Berck sur Mer à Charleroi… Petit hommage au chti, une langue en voie de disparition ?

LA VIDEO

Si vous l’avez ratée, la voici :

Norman Thavaud, originaire d’Arras dans les Hauts de France, sait de quoi il parle, et aborde avec humour les clichés répandus à propos des « gens du Nord ». Une manne inépuisable pour les artistes ? La chanson d’Enrico Macias vous revient en mémoire. Le film de Danny Boon, Bienvenue chez les Chtis, et dernièrement Dunkerque, de Nolan, qui présente un épisode sombre de notre histoire locale. Attention, Dunkerque est déjà hors du territoire chti… Nous sommes en Flandre. Aujourd’hui comme autrefois. Alors, qu’est-ce vraiment que cette langue devenue patois ?

LANGUE, DIALECTE, PATOIS

Le chti est au Moyen Age une langue. Ou plutôt une des langues d’oïl parlées au nord de la GauleDante (1265-1321), dans son  De vulgari eloquentia, écrit vers 1305, distingue au Moyen Age 4 grands groupes linguistiques, déterminés selon la façon de dire « oui » : « jo » pour les langues germaniques, « oïl » pour les langues du nord de la Gaule (du latin hoc ille, « celui ci »), « oc » (du latin hoc, « ceci », et sic, « ainsi ») pour les langues parlées au sud et « si » pour les langues parlées en Italie.

Au Moyen Age donc, les populations de la moitié nord parlent la langue de leurs provinces respectives :

  • au centre (Île-de-France et à proximité) : le français
  • à l’est : le bourguignon-morvandiau, le champenois, le lorrain ;
  • au nord : le picard et le wallon ;
  • au nord-ouest : le normand ;
  • à l’ouest : le gallo ;
  • au sud-est : le franc-comtois ;
  • au sud-ouest : le poitevin-saintongeais ;
  • au sud : le berrichon.
Les langues d’oïl selon Marie-Rose Simoni-Aurembou (2003).

 

Le chti est donc une survivance du picard parlé au Moyen Age. Picard, langue d’oïl qui a donné naissance à des textes majeurs de la littérature médiévale : Renart le novel (1289), du lillois Jacquemars Giélée, constitue une des « branches » du Roman de Renart. Arras devient capitale européenne de la littérature avec Jean Bodel, auteur de fabliaux. C’est d’ailleurs grâce à lui que le terme picard « fabliau » a supplanté le terme français « fableau » pour désigner ce genre comique si populaire….  Arras doit son renom aussi à Adam de la Halle, dit « le Bochu » (le Bossu) qui jette les bases de notre théâtre national avec Le Jeu de la feuillée et Le Jeu de Robin et Marion. Valenciennes partage la renommée de la capitale de l’Artois grâce aux œuvres de son chroniqueur Jean Froissart. C’est par lui que devient célèbre le sacrifice des Bourgeois de Calais…

Avec la Renaissance, François Ier et le fameux Édit de Villers Cotterêts (1535), le français devient la langue officielle de tout le royaume, et c’est à cette époque qu’apparaissent les mots « dialecte » et « patois » pour désigner les langues d’oïl… Dialecte : variété linguistique propre à un groupe d’utilisateurs déterminés. Patois : langue minoritaire. Le terme est  souvent dépréciatif, voire péjoratif. Pourtant, avec le temps,  les linguistes se sont attachés à redorer le blason des patois. Pour preuve :  l’évolution des définitions du mot « patois » au fil des éditions du  Dictionnaire de l’Académie Française :

  • 4e édition : Langage rustique, grossier, comme est celui d’un paysan, ou du bas peuple.
  • 8e édition : Variété d’un dialecte, idiome propre à une localité rurale ou à un groupe de localités rurales.
  • 9e édition : Variété d’un dialecte qui n’est parlée que dans une contrée de faible étendue, le plus souvent rurale.

Le mot même, « patois », viendrait de l’ancien français patoier/ patoyer signifiant agiter les mains, gesticuler ; il dériverait du nom patte auquel on ajoute le  suffixe -oyer. On comprend ainsi la connotation péjorative que comporte ce terme : on patoise quand on n’arrive plus à s’exprimer que par gestes… Selon une autre hypothèse, plus noble,  il pourrait dériver du latin patria (patrie), faisant ainsi référence à la dispersion locale d’un dialecte.

La linguiste Henriette Walter, dans son ouvrage Le Français dans tous les sens (2014), élimine les clichés et rétablit non seulement le sens des mots mais aussi la dignité des patois :

Le terme de « patois » en est arrivé progressivement à évoquer dans l’esprit des gens l’idée trop souvent répétée d’un langage rudimentaire (…). Nous voilà loin de la définition des linguistes, pour qui un patois (roman) est au départ l’une des formes prises par le latin parlé dans une région donnée, sans y attacher le moindre jugement de valeur : un patois, c’est une langue. (…) Le latin parlé en Gaule (…) s’est diversifié au cours des siècles en parlers différents. (…) Lorsque cette diversification a été telle que le parler d’un village ne s’est plus confondu avec celui du village voisin, les linguistes parlent plus précisément de patois. Mais, à leurs yeux, il n’y a aucune hiérarchie de valeur à établir entre langue, dialecte et patois. (…) Il faut donc bien comprendre que non seulement les patois ne sont pas du français déformé, mais que le français n’est qu’un patois qui a réussi. 

L’ÂGE D’OR DU CHTI

Nous n’avons donc pas à rougir de notre patois picard. Pas la peine de déboulonner les statues des auteurs qui ont forgé la  renommée de notre région et de sa langue : François Decottigniy, dit « Brûle Maison » à Lille, L’Abbé Delmotte à Mons, Henri Carion ou Charles Lamy à Cambrai, Alexandre Desrousseaux et son Petit Quinquin de L’Canchon Dormoire, Louis Dechristé et ses Souv’nirs d’un homme d’Douai, Marceline Desbordes-Valmore, douaisienne elle aussi, Benjamin Desailly, Jules Mousseron, Auguste Labbe et sa déchirante Carrette à quiens, Jules Watteeuw dit le Broutteux à TourcoingPoèmes, saynettes, textes écrits par des saqueux d’fichelles (montreurs de marionnettes), journaux, chansons… La langue populaire emprunte des formes populaires pour continuer à exister. Elle n’en reste pas moins digne d’intérêts esthétique autant qu’historique ou sociologique.

En guise de conclusion, ce poème de Jules Mousseron (1868-1943), hommage au patois du Nord…

J’ai fort quier el français, ch’est l’pu joli langache
Comm’ j’aime el biau vêt’mint qué j’mets dins les honneurs.
Mais j’préfèr’ min patois, musiqu’dé m’premier âche
Qui chaq’jour, fait canter chu qu’a busié min coeur.

Dins l’peine un mot patois nous consol’ davantache

Dins l’joie, à l’bonne franquette, I corse el’bonne humeur
Il est l’pus bell’rincontre au cours d’un long voïache
L’pus douch’ plaint’ du soldat au mitan des horreurs.

L’patois s’apprind tout seul, et l’français à l’école.
L’in vient in liberté, l’autr’ s’intass’ comme un rôle.
Les deux sont bons, bin sûr, mais not’patois pourtant,
Rappell’ mieux les souvenirs d’eun’jeunesse effacée.

L’patois, ch’est l’fleur sauvach’ pus qu’eune autr’parfeumée …
Ch’est l’douche appel du soir d’eun’ mère à ses infants.

Pour terminer sur une note d’humour, et entendre cette savoureuse langue, cette saynette écrite et interprétée par Léopold Simons et Line Dariel … :

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