Quelques photographies aux visages souriants. Deux valises portant un nom, une adresse. Et des dessins. Des milliers de dessins. D’enfants. Ils ont entre 10 et 15 ans. Et leur insouciance les empêche peut-être d’imaginer le destin tragique qui sera le leur. Emmenés pour la plupart en 1942 avec leurs parents, ils se retrouvent immédiatement séparés d’eux à leur arrivée dans cet étrange guetto au milieu de nulle part, à une heure de train de Prague. Une communauté d’enfants emportés dans la machine infernale de l’Histoire et qui livrent le plus émouvant des témoignages de leur vie dans cette ville qui porte le nom d’une impératrice. Ce sont les enfants de Terezin.
Robert et Kamil Sattlerovi. Terezin.
LAISSER UNE TRACE… PINKASOVA
Tout commence à Pinkasova, synagogue du quartier juif de Prague, Josefov, Maislova. Construit en 1535, ce lieu de prière est aujourd’hui un vaste lieu du souvenir. Sur les murs de chacune des salles, entre 1954 et 1959, les peintres Jiří John et Václav Boštík ont écrit à la main, sans pochoir, le nom de chacune des victimes de l’holocauste en Moravie et en Bohême. Rien que la nef principale comporte 40 000 noms. Aujourd’hui, après de multiples restaurations nécessitées par les ravages du temps et les avaries climatiques, et suite aux recherches historiques qui se poursuivent, ce sont 80 000 noms qui s’inscrivent dans la pierre de l’édifice et dans la mémoire de l’Histoire. Des noms sortis de l’oubli. Des noms pour faire vivre dans notre souvenir ceux et celles qui n’étaient plus que des numéros au moment de leur mort…
Sur chaque mur les noms des victimes de l’holocauste en Bohême et Moravie. 80 000 noms au total… Synagogue Pinkas, Prague.De part et d’autre de l’Arche, la liste des camps de concentration d’Europe centrale. Synagogue Pinkas. Prague.
80 000 noms. Et 4 000 dessins. Les dessins des 10 000 enfants déportés à Terezin. Tous ne sont pas exposés. Mais ceux que l’on voit sont saisissants. De simplicité. Rien ne transparaît, ou presque, de la tragédie dont ils sont les acteurs involontaires. Des jeux. Des maisons. Des personnages de contes traditionnels. La cantine. Des gardes qui ont presque l’air sympathique…
Deux gardiens. Synagogue Pinkas, Prague.
A la gare. Synagogue Pinkas, Prague.
Dessin de Hana Kusa. Synagogue Pnkas, Prague.
La cantine du camp de Terezin. Synagogue Pinkas, Prague.
Une maison pleine d’amour, Terezin.
Lettre d’une petite fille racontant son arrivée à Terezin. Synagogue Pinkas, Prague.
UN ART DE VIVRE CONTRE LA MORT
A Terezin, la plupart des enfants juifs de Bohême et de Moravie sont déportés dès 1942, séparés de leurs parents et regroupés dans « la maison des enfants ». Une femme joue alors un rôle essentiel dans leur vie : Friedl Dicker Brandeis. Professeure d’art, spécialiste de pédagogie, résistante communiste, elle se retrouve à la tête de ce village d’enfants. C’est elle qui leur fournit de quoi dessiner, explorer leur créativité. De quoi exprimer leurs émotions. De quoi lutter contre la mort, et l’oubli.
Friedl Dicker Brandeis (1898 Vienne – 1944 Auschwitz) enseigne le dessin aux enfants de Terezin. Synagogue Pinkasova, Prague.
Les enfants avaient-ils conscience de ce qu’ils vivaient ? de ce qui les attendait ? Deux dessins troublent par leur lucidité. Le premier représente un paysage coloré dans lequel des enfants jouent. Deux gros nuages noirs surplombent cette scène pleine d’insouciance… Le second est un collage de papier blanc sur fond vert, qui représente les figures mythiques du meurtre fratricide d’Abel par Caïn. Comme l’explication symbolique de ce génocide : une partie de l’humanité assassine une autre partie de cette même humanité…
Paysage aux nuages noirs. Synagogue Pinkas, Prague.
Abel et cain. Synagogue Pinkas, Prague.
En 1940, voici ce que Friedl Dicker Brandeis écrit à un de ses amis :
Je me souviens avoir songé lorsque j’étais à l’école comment je me comporterais une fois adulte pour protéger mes étudiants des impressions désagréables, de l’incertitude, des apprentissages décousus. […] Aujourd’hui, une seule chose me semble importante pour préserver l’élan créatif, c’est d’en faire un art de vivre et d’enseigner comment dépasser les difficultés qui sont insignifiantes en regard des objectifs que vous poursuivez.
Art de vivre contre industrie de la mort. Voilà ce qu’a proposé Friedl Dicker Brandeis à ces milliers d’enfants qui sont passés par Terezin avant d’être transférés vers la mort certaine d’Auschwitz en 1944. Il reste de cet enseignement deux valises remplies de plus de 4000 dessins, confiées après la guerre à la Ville de Prague, et au Musée Juif.
Daisaku Ikeda, le fondateur du musée d’art Fuji à Tokyo qui accueillit l’exposition consacrée aux dessins des enfants de Terezin au Japon résume bien l’importance de cette trace laissée par ceux que l’Histoire a happés :
Les travaux artistiques variés laissés par cette grande dame et par les enfants de Terezin sont leurs legs au présent pour chacun d’entre nous. Ils nous invitent à continuer notre quête d’une société qui chérit la vie humaine en transcendant toutes les différences de races, de religion, de politique et d’idéologie. Cela reste mon espoir le plus profond que cette exposition soit un moment d’introspection pour ceux qui la verront, un moment pour réaffirmer l’importance de nos droits en tant qu’être humain et la valeur de la vie en elle-même.
Gertruda Eisinger, enfant de Terezin. Synagogue Pinkas, Prague.
Petr Ginz, enfant de Terezin. Synagogue Pinkasova, Prague.
Frantisek Bass, enfant de Terezin. Terezin.
Sous la photo d’un visage d’enfant, ce poème :
A little garden / Fragrant and full of roses / The path is narrow / And a little boy walks along it. / A little boy, a sweet boy / Like that growing blossom / When the blossom comes to bloom / The little boy will be no more…
Un petit jardin / Parfumé et plein de roses / Le chemin est étroit / Et un petit garçon s’y promène. / Un petit garçon, un garçon adorable / Pur comme cette fleur qui pousse / Lorsque la fleur sera sur le point de s’épanouir / Le petit garçon ne sera plus…
Elle est une des femmes auxquelles Michel Onfray rend hommage dans son ouvrage paru en mai 2016 : La Force du sexe faible. Contre-histoire de la Révolution Française. Comme Olympe de Gouges, Charlotte Corday ou Mme Roland, elle fut une des premières féministes, et surtout l’une des nombreuses humanistes, de cette période troublée et sanglante de notre histoire. Fille spirituelle de Plutarque et de Condorcet, elle joua un rôle important pour donner à la Révolution un visage humain. Portrait de la « belle Liégeoise ».
Théroigne de Méricourt en 1791. Portrait de Jean Fouquet.
Elle naît Anne-Josèphe Terwagne en 1762, à Marcourt. Campagne de Liège. Aujourd’hui, elle serait Belge. Famille de paysans aisés. Mais très vite la catastrophe s’abat sur elle : orpheline de mère, elle devient le souffre douleur d’une belle mère acariâtre. Cendrillon dans un Siècle des Lumières. De couvent en parent maltraitant, de l’opulence originelle à la misère qui fait son lit, la jeune Terwagne doit son salut à une famille anglaise de passage, qui l’embauche comme dame de compagnie pour les enfants. Elle apprend alors à lire, à écrire, à chanter, à jouer du piano. Elle rencontre un jeune officier anglais. Cendrillon semble vivre son conte de fée.
Sauf que le jeune officier anglais l’emmène à Paris et lui montre son univers familier : celui du libertinage. Le XVIIIème siècle est aussi celui de Sade… Enfant maltraitée, elle devient objet sexuel. Y prend goût ? Elle attrape la syphilis. Et cette maladie la fera souffrir jusqu’à la mort. En passant par la folie.
Pour l’heure, elle prend un traitement à base de mercure qui la fait horriblement souffrir, mais qui éloigne encore la démence. C’est à Paris qu’elle devient Théroigne de Méricourt. C’est la presse royaliste qui l’appelle de cette façon : en l’affublant d’une particule, elle veut la faire passer pour une traîtresse à la cause du roi et comme une ennemie du peuple. Elle loue un logement à Versailles pour suivre les délibérations de l’Assemblée. Elle s’intéresse à l’élaboration de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Elle assiste aux débats entre députés. Elle reçoit chez elle Desmoulins, Sieyès, Brissot. Elle fonde en janvier 1790 la Société des amis de la Loi. Dans ce club, ils sont nombreux, les « think tanks » de l’époque, on propose des idées neuves pour réformer cette société sclérosée aux finances proches de la banqueroute, où la noblesse gaspille et où le peuple meurt de faim. Abrogation de la loi contraignant à payer pour être élu député, citoyenneté entière pour les juifs, « pour les musulmans et les hommes de toutes les sectes », liberté de la presse, égalité entre hommes et femmes. Révolutionnaire, non ?!
La marche des femmes du 6 octobre 1789.
Ce club-là est dissout. Qu’à cela ne tienne, elle en fonde un autre : le club des Droits de l’Homme. Homme au sens d’être humain bien sûr. Les valeurs défendues ? Fraternité, justice, bonnes mœurs, vertu, défense des faibles par l’éducation. Hugo n’a rien inventé…
Théroigne attise les haines. À droite, la haine des ultra royalistes. À gauche, la haine des Montagnards, qui se révèleront d’ultra révolutionnaires sanguinaires. Les Montagnards accoucheront d’un monstre : la Terreur robespierriste. Elle continue son combat pacifiste. Elle fait sienne les idées de Condorcet : abolition de l’esclavage, abolition de la peine de mort, y compris celle du roi, égalité des droits entre hommes et femmes. Ces idées sont diffusées largement par les travaux d’un club mixte qui voit le jour en 1791 : la Société fraternelle des deux sexes. Théroigne en fait évidemment partie.
Fatiguée des attaques continuelles, elle se réfugie un temps en Belgique, sa terre natale, et y exporte les idées neuves de la Révolution. Elle se plonge à nouveau dans la lecture des philosophes antiques. Retour aux sources encore. Considérée comme une complotiste par les ennemis royalistes, elle est arrêtée et incarcérée dans une prison autrichienne. Elle y reste une année entière. Elle y découvre les textes de Rousseau.
De retour en France, celle que la presse royaliste surnomme la « charogne ambulante » est accueillie chaleureusement par les Girondins, les modérés de la Révolution. Ils l’invitent d’ailleurs à témoigner de son aventure à la tribune de l’Assemblée le 1er février 1792. Le procureur de la Commune dit d’elle :
Vous venez d’entendre une des premières amazones de la liberté. Elle a été martyre de la Constitution.
Brissot, leader de la frange girondine, parle d’elle comme d « une amie de la liberté ».Forte de ce soutien, elle crée des légions d’amazones, des phalanges féminines. Elle harangue les citoyennes, elle parle de
progrès des Lumières qui vous invitent à réfléchir (…) il faut prendre pour arbitre la raison(…) Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité, où l’ignorance, l’orgueil, et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps (…) Nous aussi nous voulons mériter une couronne civique, et briguer l’honneur de mourir pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu’à eux, puisque les effets du despotisme s’appesantissent encore plus sur nos têtes que sur les leurs.
Quelle audace ! Quelle témérité ! Quels risques pris aussi dans une Révolution qui prend un tournant résolument machiste et terroriste…. Fessée publique. Insultes de plus en plus violentes dans les journaux hostiles à son action. Notamment de la part de François Suleau, journaliste aux Actes des Apôtres… Celui-ci finit mal : pris à partie et assassiné par une foule populaire animée de vengeance. Théroigne est dans cette foule. Elle ne tue pas. La violence est contre nature pour elle. Mais il n’en faut pas plus pour qu’elle soit arrêtée.
Théroigne de Méricourt en amazone. Auguste Raffet.
Elle n’est pas guillotinée. Elle est enfermée dans un asile, après avoir été déclarée folle… Sans traitement contre la syphilis, qu’elle porte en elle depuis sa jeunesse, folle elle le devient effectivement… Elle passe 23 années de sa vie dans une cellule… Quelle étrange fin pour cette passionnée de la raison…
Ses paroles comme un testament :
Citoyens, arrêtons-nous et réfléchissons, ou nous sommes perdus. Le moment est enfin arrivé où l’intérêt de tous veut que nous nous réunissions, que nous fassions le sacrifice de nos haines et de nos passions pour le salut public.
Le Mag@zoom veut se faire la chambre d’écho de Damien Carême. Parce que le sort réservé aux réfugiés de France est indigne. Parce qu’à Grande Synthe, comme un peu partout sur le littoral, l’urgence humanitaire est criante. Cette lettre, retranscrite intégralement, est issue du blog du Maire de Grande Synthe. Pour le retrouver, suivre ce lien ici.
« Maire de Grande-Synthe, j’ai ouvert le premier de camp de réfugiés en France en mars 2016 pour faire face à une urgence humanitaire et au refus de l’Etat, à l’époque, de prendre en compte la situation extrême à laquelle j’étais confronté. Ce camp a complètement été détruit par un incendie le 10 avril dernier. Aujourd’hui, plus de 350 réfugiés sont à nouveau là. Depuis son élection, j’ai interpellé le nouveau gouvernement en vain.
Monsieur le Président de la République,
Si je m’adresse à vous aujourd’hui par le biais de cette lettre ouverte, c’est parce qu’en tant qu’élu de la République – au même titre que vous – je vous ai demandé un rendez-vous, à vous-même, à votre 1er ministre et à votre ministre de l’intérieur voilà déjà plusieurs semaines. Or, malgré l’urgence humanitaire à laquelle je dois à nouveau faire face dans ma commune, vous refusez de prendre en considération l’urgence extrême de ma sollicitation.
Je décide donc, aujourd’hui, de prendre la France à témoin de mon interpellation.
Pour mémoire : le 10 avril 2017, le lieu d’accueil humanitaire de Grande-Synthe brûlait.
C’était hier. C’était il y a trois mois. C’était il y a une éternité.
Ce lieu d’accueil a permis, pendant plus d’un an d’existence, de mettre à l’abri des milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, essentiellement kurdes, puis afghans, venus d’horizons divers, souvent de zones de guerres ou en prise au terrorisme.
Si j’ai décidé, seul, de construire ce lieu d’accueil humanitaire en décembre 2015 avec l’aide de MSF, c’est parce que tout comme aujourd’hui, je n’obtenais aucune réponse du gouvernement de l’époque à mes interpellations face à un véritable drame humanitaire qui se jouait sur ma commune. Des centaines, puis de milliers de personnes venaient trouver refuge sur le sol de ma petite ville de 23 000 habitants. Quel choix s’offrait à moi, en tant que garant des valeurs de la république française ?
Dans mon monde, Monsieur le Président, celui que je m’échine à construire, les mots Liberté, Egalité, Fraternité ne sont pas des anagrammes hasardeux piochés à l’aveugle dans une pochette usagée d’un vulgaire jeu de société.
Est-ce que les mêmes causes devront produire les mêmes effets cet été 2017 ?
Notre lieu d’accueil, communément appelé La Linière, a permis pendant des mois d’être un lieu de premier secours humanitaire, offrant ce temps de répit et de récupération à toutes celles et ceux qui avaient tant risqué et déjà tant perdu pour arriver jusqu’à Grande-Synthe – à défaut de pouvoir passer en Angleterre par Calais – .
La Linière n’était pas « un point de fixation » Monsieur le Président, mais bien un point d’étape. Un lieu de transit sur la route de la migration qui pousse ces milliers de personnes vers l’Angleterre.
Il n’a créé aucun « appel d’air » contrairement à ce qu’affirme votre ministre de l’intérieur, puisqu’ils étaient déjà 2 500 sur ma ville avant que je décide de la construction du site !
Il y avait, jusqu’en octobre 2016, près de 6 000 réfugiés à Calais alors que rien n’avait été conçu pour les accueillir.
Ils étaient plus de 3 000 à Paris avant qu’Anne Hidalgo ne décide courageusement de créer un lieu d’accueil à La Chapelle et à Ivry.
Ils sont aujourd’hui, comme hier, plus de 100 à Steenvoorde, dans le nord, alors que rien n’existe pour eux.
Évoquer l’appel d’air n’est que prétexte à l’immobilisme !
Un immobilisme ravageur sur le plan humain.
Un immobilisme mortifère.
Un immobilisme indigne de la France, patrie dite des « Droits de l’Homme et du Citoyen ».
Un immobilisme contraire à vos récentes déclarations à Bruxelles et à Versailles.
De mars à août 2016, nous avons avec l’aide de l’état, du travail extraordinaire d’associations dévouées, des non moins remarquables ONG – Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde, la Croix Rouge Française, Gynécologie Sans Frontières, Dentistes Sans Frontières – et des services de la ville, ramené le camp à une jauge « raisonnable» puisque la population sur le site est passée de 1 350 personnes à 700.
C’est le démantèlement de la Jungle de Calais qui est venu bousculer notre lieu d’accueil humanitaire et conduit à la fin que nous connaissons.
Je reçois aujourd’hui de nombreux témoignages, y compris de personnes antérieurement hostiles au camp, qui m’interpellent sur son rôle et son utilité pour tous ; les réfugiés évidemment, mais aussi les associations et à mots couverts les divers services de l’état qui voyaient dans ce camp un outil pour canaliser la pression et éviter ce que nous connaissons depuis sa disparition : l’étalement et l’éparpillement des migrants sur tout le littoral dans des conditions de vie indignes.
Expliquez-moi, Monsieur le Président, comment aujourd’hui peut-on prétendre contrôler quoi que ce soit, prévoir quoi que ce soit alors que ne prévaut qu’une politique de fermeté et d’intransigeance contre les réfugiés, secondée d’un mépris total envers les associations ?
Comment aujourd’hui pourrait-on se contenter de «disperser et ventiler» les réfugiés pour les condamner à errer sans but comme s’ils étaient par nature invisibles ?
Ces migrants, ces réfugiés ont tous une identité et une vie, Monsieur le Président.
Ils cherchent à Paris, Grande-Synthe, Calais, Steenvoorde ou ailleurs, un refuge.
Ne le voyez vous pas ? Ou peut-être ne le comprenez-vous pas ?
En les traquant comme des animaux, nous les transformons inévitablement en bêtes humaines.
On les traque de la sorte en espérant – peut-être ? – qu’ils craquent et commettent des méfaits qui justifieraient l’emploi de la force et les évacuations musclées. Vous pourrez alors, en bout de course, l’affirmer avec pédagogie – démagogie ?- « On vous l’avait bien dit ! »
Nous serions ainsi condamnés à l’impuissance et au cynisme en évitant de construire des lieux d’accueil humanitaires parce qu’ils provoqueraient « un appel d’air inévitable » ? Nous devrions choisir l’aveuglement, changer le prisme de notre conscience objective pour ne simplement plus voir ceux qui reconstituent des campements aujourd’hui, et demain, c’est certain, des jungles ?
Préfère-t-on les « jungles » à des lieux d’accueil humanitaires dans notre République française du 21ème siècle ?
Préfère-t-on nier les problèmes et s’en remettre à des recettes qui ont déjà toutes échouées ?
Préfère-t-on réellement bloquer ces migrants en Lybie, où la plupart d’entre eux se font violer ou torturer, loin de nos frontières et de nos yeux bien clos ?
Monsieur le Président, vous avez déclaré récemment à Bruxelles : « la France doit se montrer digne d’être la patrie des Droits de l’Homme en devenant un modèle d’hospitalité ».
Au même moment, votre ministre de l’intérieur fustigeait les associations à Calais en leur demandant « d’aller faire voir leur savoir-faire ailleurs ! ».
Ces discours étrangement contradictoires ne peuvent perdurer.
Mettez vos déclarations en actes !
Le gouvernement a choisi délibérément de tracer une frontière invisible, une ligne de démarcation organisant d’un côté la prise en charge des réfugiés via les Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO) et laissant à l’abandon de l’autre côté, sur le littoral des Hauts de France, à la fois les migrants et les collectivités.
C’est, je vous l’écris Monsieur le Président, honteux et inacceptable !
J’ai croisé sur le lieu humanitaire de la Linière, bien des destins ; des destins meurtris, blessés mais toujours dignes.
D’aucuns diront peut-être que ma vision est « angélique ».
Je sais mieux que quiconque que La Linière était loin d’être parfaite. Mais notre lieu d’accueil était à l’époque la seule et indispensable réponse à l’urgence.
J’ai toujours soutenu depuis leur création la constitution de centres d’accueil et d’orientation et j’ai défendu les mérites de ces dispositifs dans tous mes déplacements ainsi qu’auprès de mes collègues maires.
Nombre d’entres eux témoignent d’ailleurs de la richesse qui en découle. Lorsqu’ils en ouvrent sur leur commune, tout se passe merveilleusement bien, avec les réfugiés, comme avec la population locale. En dépit quelquefois de manifestations préalables à l’annonce de l’ouverture des CAO.
Il faut les multiplier, les renforcer, asseoir davantage les fonctions d’accueil et d’orientation avec l’aide des associations, des citoyens locaux, plutôt que de s’en servir comme de lieux permettant d’y repousser les réfugiés.
Je souhaite que nous construisions une répartition territoriale du dispositif national d’accueil dans lequel le littoral Côte d’Opale devra aussi prendre sa part. Nous pourrons y créer des lieux d’accueil et de transit dans lesquels, celles et ceux qui arrivent sur le littoral, comme c’est le cas à Paris, se poseront quelques jours et réfléchiront à la suite de leur parcours. Car tant que l’Angleterre sera là, à portée de vue des falaises, des réfugiés voudront s’y rendre. – Et à cela, vous ne pourrez rien changer -.
Grande-Synthe est prête à accueillir dignement, à la hauteur d’un lieu dimensionné et respectueux des lois et des personnes y séjournant. Nous avons ici ou à Paris démontré que cela était possible, à la condition que l’Etat nous accompagne.
Il faudra que vous persuadiez d’autres maires d’accepter d’ouvrir des lieux, en les accompagnant financièrement au titre d’une «péréquation humanitaire ». Quelle magnifique mesure ce serait là ! Une mesure chargée de symbole !
Il faudra aussi, Monsieur le Président, réformer le droit d’asile, rendre plus rapide l’examen des demandes et élargir la notion de protections, alors que les procédures sont aujourd’hui décourageantes et malsaines.
Enfin parce que cela est une exigence absolue, nous devons tout faire pour lutter contre les réseaux de passeurs, comme je l’ai fait à Grande-Synthe. Je réaffirme au passage, que ce ne sont pas les lieux d’accueil qui favorisent les réseaux de passeurs, mais bel et bien les frontières, les murs, les barbelés et les garde-frontières que l’on multiplie qui donnent naissance à ces réseaux mafieux. Depuis toujours.
Il faudra donc, au-delà des réponses répressives de la police et de la justice, assécher ce trafic intarissable en créant des corridors humanitaires entre l’Europe et les pays de départ, aux frontières de ces pays, et accorder beaucoup plus de visas humanitaires. Visas qu’il faudra rendre européens.
Monsieur le Président, il fut un temps où la France a tristement organisé 54 000 traversées de l’Atlantique pour transporter 13 millions d’esclaves.
Il est venu l’heure de laver cet affront historique aux yeux du monde, en organisant un accueil avec le minimum d’hospitalité et de dignité qu’exige la vie de tout être humain. A fortiori dans ce beau pays qui nous/vous a été confié, où constitutionnellement «Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Vous allez sortir un nouveau texte fixant de «nouvelles» directives, élaborer un «nouveau» plan. Un de plus. La liste est pourtant tristement longue.
Le problème, Monsieur le Président, c’est qu’aujourd’hui, la France est sur-administrée par des textes, et bien trop sous-administrée en moyens.
Il faut poser des actes.
Des actes audacieux.
Des actes courageux.
Dans l’espoir sincère que vous aurez le courage d’entendre ce que je tâche de vous écrire dans cette longue lettre et dans l’attente impatiente de vous lire,
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mon profond respect.
3 juillet 2017. La grand messe des profs de français. Comme chaque année dans ces parages brumeux de l’année scolaire finissante. Cette fois, dans le quart d’heure d’attente que s’accordent les profs soucieux d’être à l’heure au rendez-vous des copies, des grilles alambiquées de report des notes et des perles en rivières, ça discute réforme de Najat, compétences et fin d’année en queue de poisson.
Ou en eau de boudin. D’abord à cause de l’organisation des épreuves, chamboulée elle aussi dans le tumulte de la réforme. Les chef(fe)s de centre n’ont eu qu’une matinée expresse pour corriger quelques copies tests et se mettre d’accord sur les tolérances accordées. Certains n’ont même pas reçu de convocation officielle… Ensuite parce qu’on se retrouve, quand même, encore, avec chacun(e) un paquet prodigieux de copies à corriger alors que la moitié des collègues ne sont pas convoqués… Ça serait tellement mieux si on était plus nombreux. Partage du travail, ça s’appelle. Ça signifierait aussi moins de stress, moins de fatigue, et plus d’équité dans l’évaluation du travail des candidats. Pas sûr que celui-ci ou celle-là, avec son visage grognon déjà, soit enclin(e) à noter avec bienveillance sa 45ème copie au bout de sa looongue journée et de son looourd paquet… Enfin, parce qu’on découvre qu’il n’y a pas de grille de notation proposée pour le sujet de rédaction… On a connu ça il y a 20 ans. On lutte contre ça depuis 20 ans : ne surtout pas noter en fonction de son humeur, du ressenti, de la graphie ou du temps qu’il fait… C’est l’inégalité des chances assurée. Depuis 20 ans, on s’escrime à hiérarchiser les critères requis et les compétences qu’on veut évaluer, et on harmonise les points attribués selon ces compétences en regard des attentes du sujet. Et là : rien ! Pas sûr que celui-ci ou celle-là, avec son visage grognon déjà, ne soit enclin(e) à noter la 45ème rédaction de son paquet avec la bienveillance attendue…
Il n’empêche qu’on écoute quand même religieusement les recommandations de notre cheffe de centre. Qu’on attend avec une impatience non dissimulée (ben on perd encore 1/4 d’heure…) les photocopies du sujet qui ne sont pas prêtes. Et qu’on se rue vers la salle où nous attendent, sagement alignées, les fameuses enveloppes de papier kraft marron contenant les fameuses copies à tout petits carreaux pas espacés du tout. Les presbytes n’ont qu’à bien se tenir et ne pas oublier leurs lunettes. On fait la queue. Au moins, en période de soldes, dans les magasins, on multiplie les ouvertures de caisses. Ben là, non. Une pauvre dame se coltine tous les numéros, à 4 chiffres, des jurys pour retrouver la sacro sainte enveloppe qui vous est destinée. Ne poussez pas : il y en aura pour tout le monde, hihi !
Et c’est parti… Malheur à celui ou à celle à qui il manque une copie… Malheur à celui ou à celle qui note au quart de point près… Malheur à celui ou à celle qui se retrouve dans la salle de correction d’un ronchon…
Et puis, pardon pour les « malgré eux », ces candidats qui sortent leur style du dimanche pour épater le correcteur. Ils sont une source de bien être soudain, de sourire, voire de fou rire qui vient détendre l’atmosphère de ces salles où d’anciens potaches sont devenus profs parce qu’ils n’ont pas su devenir des Zola ou des Giono. Allez, partageons ces perles qui illuminent un peu ces fins d’années scolaires embrumées :
Expliquez le sens de « entassement » dans le texte. Texte de Giono, Les vraies Richesses, 1936, où l’auteur décrit son malaise chaque fois qu’il doit affronter la foule sur les trottoirs de la capitale. Une candidate écrit : « Il y a entassement de la foule. Les gens sont collés-serrés. » Ses parents étaient peut-être fans de Philippe Lavil et de Jocelyne Béroard ?
Et puis au palmarès des mauvaises manies orthographiques, la confusion « sa » et « ça » tient la première place, détrônant les « bizart » et « bizzard », comme si ce qui est « bizarre » se couvrait d’une nuée glacée, blizzard blizzard…
Viennent les morceaux d’écriture denses, et souvent absolument pas ponctués, où le candidat s’évertue à vous prouver que la ville, c’est mieux que la campagne : « En ville les routes sont super propres tandis qu’en campagne il y a de la boue tout partout avec les tracteurs. » C’est frais, hein ?!
Et puis le philosophe qui s’interroge, comme Giono du reste, sur les vraies richesses : « Les vraies richesses auxquelles pense l’auteur, c’est beaucoup de monde paye, et ceux qui ne payent pas n’ont rien. » À méditer…
Et puis, il y a ceux qui ne maîtrisent absolument pas la conjugaison du passé simple mais tiennent absolument à l’utiliser. Conjugaison incertaine mâtinée d’un vocabulaire recherché :
« Tout à coup, il fut l’heure où les magasins s’ouvrèrent et une énorme foule apparut en un éclair. Ce fut un moment terrible pour nous car une terrible panique se mit à nous posséder. Nous fûmes embarqués dans la foule. Les gens chahutaient, nous bousculaient, nous piétinaient, hurlaient comme des sauvages. On aurait pu croire à une tragédie. Mais mon cousin nous disa qu’à partir d’aujourd’hui ce fut les soldes. (…) C’est décevant comme les gens peuvent être d’un instant à l’autre différents, changer de comportement et devenir des malades mental, alors qu’habituellement les gens sont calmes et respectueux. »
Et enfin, il y ceux qui ne maîtrisent pas l’utilisation des pronoms relatifs, mais qui tiennent absolument à les utiliser… :
« Il y a quelques mois, je suis allé dans une ville dont j’ignorais comment c’était. (…) Aussi pendant ce séjour, il y avait un petit parc d’attractions dont je n’avais jamais été. »
Dernier paquet de copies. Derniers bulletins. Derniers conseil de classe. Derniers cours. Il fait chaud. Tout le monde est plus détendu, plus souriant. Malgré la fatigue. Certains ont déjà déserté les classes. On se retrouve en petits comités. On révise pour le Brevet des collèges. Les emplois des temps. L’accord du participe passé. Dictées. Réécriture. On traque les figures de style et les procédés littéraires dans les textes pour se faire la main. « On comprend mieux Madame, comme ça, quand on n’est pas nombreux et que vous êtes tout près de nous ». Ben oui, c’est mieux. Pourquoi le Ministère s’acharne-t-il à remplir les salles de classes comme on remplit les box des élevages en batterie ? 25 en REP +. 30 à 35 dans les établissements sans problèmes… Démocratisation ou industrialisation ? A 15, c’est vrai que c’est mieux…
Surtout quand les gamins en face n’ont jamais entendu un subjonctif présent à la maison. « Il faut que je fais mon ménage et que je finis ma vaisselle ». Ouille ! Surtout quand les gamins en face découvrent que « ent » c’est le pluriel pour les verbes et pas pour les noms… A 15, c’est mieux. Mais le Ministère veut faire des économies. On remplit, on remplit. Et tant pis s’il y a du déchet. De la perte. De temps, d’énergie, d’espoir. Et tant pis s’il y a encore des milliers de gamins qui sortent du système scolaire en n’ayant rien compris à rien. En étant formés à rien. En n’ayant aucun diplôme, aucune perspective d’avenir. Économie. Le Maître mot. Chiffre. Cases. Tableaux. Taux de réussite. Taux de pression. Économie. 1 prof pour 15 élèves ? Mais vous n’y pensez pas ! C’est du gaspillage de moyens ! Nous sommes des moyens. Des numéros. Qu’on place sans trop réfléchir devant un groupe classe. Et surtout, que ça ne dépasse pas! Vous voulez faire de la préparation au CFG avec les élèves en grande difficulté ? Dans un rapport de 1 adulte pour 2 ou 3 élèves ? Mais vous n’y pensez pas ! C’est du gaspillage de moyens ! Et en plus vous voudriez que ce soit dans votre service ? Impossible : nous avons des enveloppes d’heures sup pour payer ça ! Vous ferez ça en plus de votre service ! Entre 13h et 14h, ou de 5 à 6…
Moi, j’en veux pas des heures sup ; c’est pas de l’argent que je veux gagner, c’est du temps. De la santé. De l’énergie. J’ai plus 20 ans faut dire… C’est pas de l’argent en plus que je veux gagner. C’est la confiance de ces élèves à la dérive, perdus dans un groupe à 25, qui, au mieux, dorment sur leur sac, au pire vous retournent le cours dès qu’ils en ont l’occasion. C’est leur confiance, leur intérêt, leur motivation que je veux gagner, regagner…
C’est mieux, Madame, quand on n’est pas nombreux et que vous êtes tout près de nous…
“If your pictures aren’t good enough, you’re not close enough,” « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près. » Robert Capa (1913-1954). Les trois autres fondateurs de Magnum : Henri Cartier-Bresson (1908-2004), George Rodger (1908-1995) et David « Chim » Seymour (1911-1956). L’agence franco-américaine, devenue « une communauté de pensée, une qualité humaine en partage, une curiosité de ce qui se passe dans le monde, un respect de ce qui s’y passe et le désir de le transcrire visuellement », comme l’expliquait Cartier-Bresson, fête 70 ans d’images. 1947 – 2017. Tout un pan de l’histoire de l’humanité. De grandes figures immortalisées. Et toute une humanité anonyme entrée dans l’Histoire par les clichés exceptionnels. Des mineurs du Nord photographiés par Seymour en 1935 jusqu’aux images capturées par Matt Stuart après l’attentat terroriste de Manchester il y a quelques jours… En guise de cadeau d’anniversaire, l’agence s’expose et fait découvrir ou redécouvrir ses richesses. Feuilletons l’album…
FRANCE. Normandie. Omaha Beach. Débarquement du 6 juin 1944. Robert Capa.Jeunes mineurs. Nord de la France. David Seymour, 1935.Hongrie, Budapest. Octobre, 1956. Révolution. Erich Lessing.1948. GANDHI. Henri Cartier Bresson.FRANCE. Golfe-Juan, août 1948. Pablo Picasso et Françoise Gilot sa compagne. Robert Capa.USA. 1995. Rosa PARKS. Eli Reed.USA. 1940. Ernest HEMINGWAY. Robert Capa.FRANCE. Boulogne Billancourt, mai- juin, 1936. Ouvriers de l’usine Renault en g;rève. Robert Capa.LONDRES. The Beatles, EMI Studios, Abbey Road Studios.1964. David Hurn.Jimi Hendrix, 1968. Eliott Landy.FRANCE. Château de Versailles. 29 Mai 2017. Emmanuel MACRON et Vladimir POUTINE, A. Abbas.France. Tanya ROBERTS, Roger MOORE et Grace JONES. Permis de tuer. Patrick Zachmann, 1985.New York, 9/11/2001. After the attack of the World Trade Center, Larry Towel.USA. 1958. Enfants dans un cinéma. Wayne Miller.IRAN: TEHERAN Janvier 1979. A. Abbas.USA. New York City. 1951. A new face for the new world. Dennis Stock.FRANCE. Paris. Rue Vignon. 1987. Raymond Depardon.
INDIA. 4. Father and son, A. Abbas, 2012.USA. New York City. Brooklyn. 1986. Mother and son. Eli Reed.CHINA. Place Tien An Men, 1989. Stuart Franklin.Manchester. Mai 2017. Après l’attentat. Matt Stuart.
Ces photos proviennent toutes du site de l’agence Magnum. Pour voir d’autres merveilles de notre histoire, la grande, la petite, suivez ce lien vers le site de Magnum : ici.
Deux attentats terroristes en moins d’une semaine. Manchester. Fayoum. Deux fois l’horreur. D’autant plus insupportables que ce sont des enfants les principales victimes. Les uns sont engloutis par le feu, d’autres, chaque jour, par la mer… Les grandes douleurs sont muettes. Ces mots d’ Abdelatif Laâbi, poète marocain, en guise de prière…
« Pour mille et un enfants
Effacés
d’un trait de haine
à l’aube muette
des peuples fous de parole… »
«J’atteste qu’il n’y a d’Être humain que Celui dont le cœur tremble d’amour pour tous ses frères en humanité Celui qui désire ardemment plus pour eux que pour lui-même liberté paix dignité Celui qui considère que la Vie est encore plus sacrée que ses croyances et ses divinités J’atteste qu’il n’y a d’Être humain que Celui qui combat sans relâche la Haine en lui et autour de lui Celui qui dès qu’il ouvre les yeux au matin se pose la question : Que vais-je faire aujourd’hui pour ne pas perdre ma qualité et ma fierté d’être homme ?»
Le Massacre des Innocents, Nicolas Poussin, 1625-1629.
C’est en 1990 qu’il comprend sa vocation. Une femme arrive à son hôpital. Violée par 4 soldats, elle a le fémur et le bassin réduits en bouillie à cause d’un coup de feu provenant d’une arme enfoncée dans son vagin… Depuis cette époque, c’est presque 45 000 victimes que Denis Mukwege « répare ». Physiquement et psychologiquement. Des femmes, des jeunes filles, des enfants, et même des bébés, victimes de viols. Arme de guerre redoutable, destructrice. Arme de guerre dans un pays ravagé par des décennies de conflit, la République Démocratique du Congo. Docteur honoris causa de l’université d’Umeå en Suède depuis octobre 2010. Honoré par la médaille Wallenberg de l’université du Michigan. Élevé en 2008 au rang de Chevalier de la Légion d’Honneur en France. Honoré par le Prix des Droits de l’Homme des Nations Unies et le Prix Sakharov en 2014. Pourquoi les puissances occidentales, qui ont œuvré pour la fin des conflits au Rwanda, en Bosnie Herzégovine et ailleurs dans le monde, restent-elles sourdes aux cris d’alarme de ce bienfaiteur de l’humanité pourtant honni dans son propre pays ? Pourquoi n’assurent-elles plus sa protection ? Quels intérêts empêchent ainsi les nations d’empêcher le massacre d’une population ? Qui veut tuer Denis Mukwege ?
L’HOMME QUI RÉPARE LES FEMMES
Le Docteur Denis Mukwege en 2014.
Denis Mukwege est né en 1955 au sud Congo, à l’époque où le pays est encore colonie belge. Il se forme à la médecine à l’université du Burundi, et se spécialise en gynécologie en Europe, à l’université d’Angers puis à l’université libre de Bruxelles. Il est devenu «un ange qui soigne», comme le dit avec beaucoup de fierté sa maman dans le documentaire. Mais contrairement à d’autres Africains qui font carrière dans les pays dits développés, il décide de retourner dans son pays d’origine pour venir en aide aux populations les plus en détresse. Il devient ainsi médecin directeur de l’hôpital de Lemera dans le Sud Kivu. Hôpital violemment détruit lors de la Première Guerre du Congo en 1996. Le Docteur Denis Mukwege a la vie sauve. Il se réfugie à Nairobi, puis décide de retourner en RDC. Il y fonde l’hôpital Panzi à Bukavu. Si vous n’avez pas vu le film sorti en février 2016 qui lui est consacré, peut-être pourrez-vous revoir ce documentaire, réalisé par Thierry Michel, en replay sur la chaîne de Public Sénat. Un film choc qui permet de prendre conscience d’un drame humanitaire et « fémicide » qui se joue, depuis 20 ans maintenant, en République Démocratique du Congo.
UN « FÉMICIDE » ORGANISÉ
Carte de la RDC.
La géopolitique de la RDC est complexe, comme dans la plupart des pays d’Afrique. La situation troublée de la RDC s’enracine dans le conflit fratricide du Rwanda qui oppose Hutu et Tutsi d’une part ; et d’autre part dans l’opposition au régime autocratique du Président Mobutu, opposition menée par Laurent-Désiré Kabila. Son fils et successeur, Joseph Kabila, s’accroche au pouvoir, sourd aux revendications démocratiques des partis d’opposition. De là, des conflits incessants, notamment dans l’est du pays, à la frontière avec le Rwanda voisin. C’est dans cette zone que sont perpétrés des viols collectifs, de femmes mais aussi de très jeunes filles, parfois mineures. Le viol collectif comme arme de guerre.
QUI VEUT TUER DENIS MUKWEGE ?
Téléphone portable, tablette, ordinateur, console de jeux… Tous ces objets sont fabriqués à l’aide de minerais précieux car rares : étain, tungstène, or et coltan. Coltan : contraction de « colombite » et de « tantalite », pierre polymétallique contenant du fer, du manganèse, du tantale et du nobium. L’extraction et le commerce de ces minerais ont lieu essentiellement…en République Démocratique du Congo ! Esclavage moderne, qui masque une autre réalité plus horrible encore : la lutte que se livrent des groupes armés, profitant de l’instabilité politique, pour garder la main sur ce commerce juteux. Ce sont ces groupes armés qui font régner la terreur et s’adonnent, entre autres atrocités, aux viols de femmes et d’enfants pour assurer leur suprématie dans ce pays. Et le pouvoir en place ferme les yeux… Joseph Kabila devrait quitter le pouvoir avant la fin de l’année 2017… si les tergiversations constitutionnelles et les prétextes de tous ordres cessent…
Voici des extrait du dernier rapport d’Amnesty International concernant la situation en RDC (pour en lire l’intégralité, suivre : ce lien) :
L’incertitude politique a contribué à l’exacerbation des tensions dans l’est du pays, toujours en proie aux conflits armés. Les tensions accrues entre les différentes ethnies et communautés qui ont accompagné la longue période préélectorale, ainsi que le manque de réactivité de l’État sur les plans administratif et sécuritaire, ont favorisé les violences et de nouveaux recrutements dans les groupes armés. (…) L’aggravation de la crise économique a exacerbé la pauvreté, déjà forte, et le pays a été touché par des épidémies de choléra et de fièvre jaune qui ont fait des centaines de morts. (…) Plusieurs dizaines de journalistes ont été détenus arbitrairement. Les 19 et 20 septembre 2016, au moins huit journalistes de médias nationaux et internationaux ont été arrêtés et placés en détention pendant qu’ils couvraient les mouvements de protestation. Certains ont été harcelés, dévalisés et frappés par les forces de sécurité. (…) Au moins trois défenseurs des droits humains ont été tués par des membres avérés ou présumés des forces de sécurité dans les provinces du Maniema, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. (…) Les groupes armés ont perpétré toute une série d’exactions, parmi lesquelles des exécutions sommaires, des enlèvements, des traitements cruels, inhumains et dégradants, des viols et d’autres sévices sexuels, et des pillages de biens civils. Les FDLR, les Forces de résistance patriotique d’Ituri (FRPI) et plusieurs groupes armés maï maï (milices locales et communautaires) figuraient au nombre des responsables des atrocités commises contre la population civile. Les combattants de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) étaient toujours actifs et ont continué de se livrer à des atteintes aux droits humains dans les zones frontalières du Soudan du Sud et de la République centrafricaine. Dans le territoire de Beni (Nord-Kivu), des civils ont été massacrés au moyen généralement de machettes, de houes et de haches. Dans la nuit du 13 août 2016, 46 personnes ont été tuées à Rwangoma, un quartier de la ville de Beni, par des membres présumés du Front démocratique allié (ADF), groupe armé ougandais disposant de bases dans l’est de la RDC.
Plusieurs centaines de femmes et de filles ont subi des violences sexuelles dans les zones de conflit. Parmi les auteurs de ces violences figuraient des soldats et d’autres agents de l’État, mais aussi des combattants de groupes armés tels que les Raïa Mutomboki (coalition de groupes armés), les FRPI et les Maï Maï Nyatura (milice hutu).
Alors, qui a intérêt à ce que Denis Mukwege meure ?Joseph Kabila, pour effacer l’image ignoble que donne son pays à la face du monde ? Les groupes armés qui font régner la terreur et s’enrichissent par le commerce du « coltan » ? La communauté internationale, complice de ce commerce qui enrichit aussi les grandes firmes de l’industrie de l’électronique et de l’informatique ? La question est posée…
Non, on ne lave pas son linge sale en famille dans la cour du collège. On participe à « l’installation éphémère faite par tous tout autour de la Terre ». Rien que ça ! Créée en 2006 par la plasticienne Joëlle Gonthier, La Grande Lessive est une manifestation artistique internationale, qui adopte le principe d’un « accrochage » d’œuvres réalisées par des individus de tous âges, de toutes provenances, le temps d’une journée… Depuis sa création, 5 continents, 106 pays et des millions de personnes y ont participé. Cette année, il faudra compter aussi les collégiens de Jules Verne à Grande Synthe…
Affiche de l’édition de mars 2017.
Adieu cimaises et grilles. On tend des fils là où on peut. Cour d’école. Parc. Square. Hall d’immeuble. Et on accroche. Deux pinces à linge, et le tour est joué. Photo, dessin, collage, photo montage… la technique et les moyens utilisés sont libres. Et c’est beau ! Finalement, ce n’est pas difficile de créer de la beauté et de l’harmonie, à plusieurs, avec peu de moyens, beaucoup de créativité et d’imagination. Et deux pinces à linge… Voici quelques clichés capturés aux éditions précédentes ; voyez comme c’est beau :
Lausanne, Suisse.
La Réunion, France.
Iles Marquises.
Congo Kinshasa.
Côte d’Ivoire.
Côte d’Ivoire.
Finlande.
Grèce.
Maroc.
250 créations. Presqu’autant d’élèves. De la 6ème à la 3ème. Guidés par leur professeure d’arts plastiques, Cécile Cassard et motivés par leur professeure documentaliste, Madeleine Chaumette. Ma vie vue d’ici. Ça, c’est le thème pour cette année. Et leur vie, vue de Grande Synthe, ça donne ça :
La Grande Lessive des collégiens de Jules Verne, Grande Synthe.Ma Vie vue d’ici…
Laissons le mot de la fin à leur professeure d’arts plastiques, Cécile Cassard, maîtresse d’œuvre de ce projet internationalement pacifique et artistique. Sa vie de prof à elle vue d’ici, à Grande Synthe :
Je suis heureuse de faire participer nos élèves à ce projet international, de leur laisser, le temps de quelques heures, le matériel d’arts plastiques pour une expression graphique très libre. Comme un temps de récréation. La Grande Lessive est un joyeux prétexte qui permet aux talents de sortir de la classe ! Et c’est très poétique de voir ces farandoles de papier jouer avec le vent… mais si j’ai quand même un peu peur pour l’installation …
Le site officiel de La Grande Lessive, c’est ici. Les photos sont issues de ce site, sauf les deux dernières, confiées aimablement par Cécile Cassard. Qu’elle en soit remerciée !