Quel étrange oxymore… Loin du commandement christique « Aime ton prochain comme toi-même… surtout si c’est ton ennemi », il semblerait que Homo Sapiens ne peut s’empêcher de se « construire un ennemi », pour reprendre le titre d’une conférence donnée par Umberto Eco en 2008. Yuval Noah Harari, dans son Homo Deus, confirme pourtant que l’être humain meurt davantage aujourd’hui des conséquences de l’obésité et de la malbouffe, que de la guerre et du terrorisme. Pourtant, les Unes à sensations de la plupart des chaînes de radio et de TV focalisent sur les attentats terroristes ou sur les quelques théâtres de guerres du monde… L’être humain se repaît-il donc, pour s’épanouir et avoir le sentiment d’exister, de la certitude d’avoir un ennemi ? Pourquoi ce besoin ? Umberto Eco apporte des éléments de réponse…
QUI EST L’ENNEMI ?
Souvenez-vous de la réaction de Donald Trump il y a quelques semaines face aux affrontements de Charlottesville : il renvoyait dos à dos racistes et antiracistes, condamnant les violences « des deux parties ». Tollé : comment pouvait-on mettre dans le même panier partisans généreux de l’égalité des êtres humains et racistes de bas étage ? Outre évidemment l’erreur (la énième…) commise par le chef d’État, il est intéressant de constater que l’on est toujours l’ennemi de quelqu’un… Voyez encore le déferlement de haine contre les Rohingya en Birmanie… La sempiternelle haine entre Sunnites et Chiites… Israëliens et Palestiniens… Haine anti réfugiés ou anti migrants… Les crimes sexistes… antisémites… islamophobes… homophobes… Bref, dans un monde globalement en paix, la haine fratricide nourrit l’actualité… Abel et Caïn, Romulus et Remus, et autres Capulet et Montaigu de toutes nations, portant masques divers, se disputent éternellement sur la scène de l’humanité…
Cain et Abel, Le Titien (1542-1544), premier meurtre fratricide mythique.
Pour rappel, quelques images du déferlement de violence à Charlottesville :
Plus récente, la focale sur la haine anti Rohingya :
CONSTRUIRE L’ENNEMI, UMBERTO ECO
Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé. Nelson Mandela, Un Long Chemin vers la liberté
De l’ennemi à l’associé, un pas difficile à franchir… Et Umberto Eco est bien pessimiste quant à la capacité de l’être humain à accéder à une éthique de la fraternité :
L’éthique est-elle donc impuissante face au besoin ancestral d’avoir des ennemis ? Je dirais que l’instance éthique survient non quand on feint qu’il n’y ait pas d’ennemis, mais quand on essaie de les comprendre, de se mettre à leur place. (…) César traitera les Gaulois avec beaucoup de respect (…) et Tacite admire les Germains (…). Essayer de comprendre l’autre signifie détruire son cliché, sans nier ou effacer son altérité.
Umberto Eco, peu de temps avant sa mort en 2016.
Car c’est ce besoin de l’altérité étrangère qui paraît nécessaire à la construction individuelle. Et même, comble du paradoxe, à l’harmonie d’un peuple :
« la reconversion de la société américaine à une situation de paix eût été désastreuse car seule la guerre constitue le fondement du développement harmonieux des sociétés humaines (…) » Umberto Eco puise ici son argumentation dans un ouvrage américain anonyme, paru en 1968 : La Paix indésirable ? Rapport sur l’utilité des guerres. La guerre permet à une communauté de se reconnaître comme une nation. On comprend alors le rôle de « gendarme du monde » joué par les États Unis…
Avoir un ennemi est important pour se définir une identité, mais aussi pour se confronter à un obstacle, mesurer son système de valeurs et montrer sa bravoure. (…) Les ennemis sont différents de nous (…) Ce n’est pas leur caractère menaçant qui fait ressortir leur différence, mais leur différence qui devient un signe de menace. (…) Il semble qu’il soit impossible de se passer de l’ennemi. La figure de l’ennemi ne peut être abolie par les procès de la civilisation. Le besoin est inné, même chez l’homme doux et ami de la paix. Simplement, dans ces cas, on déplace l’image de l’ennemi, d’un objet humain à une force naturelle ou sociale qui, peu ou prou, nous menace et doit être combattue, que ce soit l’exploitation du capitalisme, la faim dans le monde ou la pollution environnementale. (…) La vision la plus pessimiste à ce propos est celle de Sartre dans Huis Clos. D’un côté, nous ne pouvons nous reconnaître nous-mêmes qu’en présence d’un Autre, et c’est sur cela que reposent les règles de la cohabitation et de la mansuétude. Mais, plus volontiers, nous trouvons cet Autre insupportable parce qu’il n’est pas nous. En le réduisant à l’ennemi, nous nous construisons notre enfer sur terre. Toutes les citations sont extraites de la Conférence donnée par Umberto Eco à l’Université de Bologne le 15 mai 2008.
Quelques photographies aux visages souriants. Deux valises portant un nom, une adresse. Et des dessins. Des milliers de dessins. D’enfants. Ils ont entre 10 et 15 ans. Et leur insouciance les empêche peut-être d’imaginer le destin tragique qui sera le leur. Emmenés pour la plupart en 1942 avec leurs parents, ils se retrouvent immédiatement séparés d’eux à leur arrivée dans cet étrange guetto au milieu de nulle part, à une heure de train de Prague. Une communauté d’enfants emportés dans la machine infernale de l’Histoire et qui livrent le plus émouvant des témoignages de leur vie dans cette ville qui porte le nom d’une impératrice. Ce sont les enfants de Terezin.
Robert et Kamil Sattlerovi. Terezin.
LAISSER UNE TRACE… PINKASOVA
Tout commence à Pinkasova, synagogue du quartier juif de Prague, Josefov, Maislova. Construit en 1535, ce lieu de prière est aujourd’hui un vaste lieu du souvenir. Sur les murs de chacune des salles, entre 1954 et 1959, les peintres Jiří John et Václav Boštík ont écrit à la main, sans pochoir, le nom de chacune des victimes de l’holocauste en Moravie et en Bohême. Rien que la nef principale comporte 40 000 noms. Aujourd’hui, après de multiples restaurations nécessitées par les ravages du temps et les avaries climatiques, et suite aux recherches historiques qui se poursuivent, ce sont 80 000 noms qui s’inscrivent dans la pierre de l’édifice et dans la mémoire de l’Histoire. Des noms sortis de l’oubli. Des noms pour faire vivre dans notre souvenir ceux et celles qui n’étaient plus que des numéros au moment de leur mort…
Sur chaque mur les noms des victimes de l’holocauste en Bohême et Moravie. 80 000 noms au total… Synagogue Pinkas, Prague.De part et d’autre de l’Arche, la liste des camps de concentration d’Europe centrale. Synagogue Pinkas. Prague.
80 000 noms. Et 4 000 dessins. Les dessins des 10 000 enfants déportés à Terezin. Tous ne sont pas exposés. Mais ceux que l’on voit sont saisissants. De simplicité. Rien ne transparaît, ou presque, de la tragédie dont ils sont les acteurs involontaires. Des jeux. Des maisons. Des personnages de contes traditionnels. La cantine. Des gardes qui ont presque l’air sympathique…
Deux gardiens. Synagogue Pinkas, Prague.
A la gare. Synagogue Pinkas, Prague.
Dessin de Hana Kusa. Synagogue Pnkas, Prague.
La cantine du camp de Terezin. Synagogue Pinkas, Prague.
Une maison pleine d’amour, Terezin.
Lettre d’une petite fille racontant son arrivée à Terezin. Synagogue Pinkas, Prague.
UN ART DE VIVRE CONTRE LA MORT
A Terezin, la plupart des enfants juifs de Bohême et de Moravie sont déportés dès 1942, séparés de leurs parents et regroupés dans « la maison des enfants ». Une femme joue alors un rôle essentiel dans leur vie : Friedl Dicker Brandeis. Professeure d’art, spécialiste de pédagogie, résistante communiste, elle se retrouve à la tête de ce village d’enfants. C’est elle qui leur fournit de quoi dessiner, explorer leur créativité. De quoi exprimer leurs émotions. De quoi lutter contre la mort, et l’oubli.
Friedl Dicker Brandeis (1898 Vienne – 1944 Auschwitz) enseigne le dessin aux enfants de Terezin. Synagogue Pinkasova, Prague.
Les enfants avaient-ils conscience de ce qu’ils vivaient ? de ce qui les attendait ? Deux dessins troublent par leur lucidité. Le premier représente un paysage coloré dans lequel des enfants jouent. Deux gros nuages noirs surplombent cette scène pleine d’insouciance… Le second est un collage de papier blanc sur fond vert, qui représente les figures mythiques du meurtre fratricide d’Abel par Caïn. Comme l’explication symbolique de ce génocide : une partie de l’humanité assassine une autre partie de cette même humanité…
Paysage aux nuages noirs. Synagogue Pinkas, Prague.
Abel et cain. Synagogue Pinkas, Prague.
En 1940, voici ce que Friedl Dicker Brandeis écrit à un de ses amis :
Je me souviens avoir songé lorsque j’étais à l’école comment je me comporterais une fois adulte pour protéger mes étudiants des impressions désagréables, de l’incertitude, des apprentissages décousus. […] Aujourd’hui, une seule chose me semble importante pour préserver l’élan créatif, c’est d’en faire un art de vivre et d’enseigner comment dépasser les difficultés qui sont insignifiantes en regard des objectifs que vous poursuivez.
Art de vivre contre industrie de la mort. Voilà ce qu’a proposé Friedl Dicker Brandeis à ces milliers d’enfants qui sont passés par Terezin avant d’être transférés vers la mort certaine d’Auschwitz en 1944. Il reste de cet enseignement deux valises remplies de plus de 4000 dessins, confiées après la guerre à la Ville de Prague, et au Musée Juif.
Daisaku Ikeda, le fondateur du musée d’art Fuji à Tokyo qui accueillit l’exposition consacrée aux dessins des enfants de Terezin au Japon résume bien l’importance de cette trace laissée par ceux que l’Histoire a happés :
Les travaux artistiques variés laissés par cette grande dame et par les enfants de Terezin sont leurs legs au présent pour chacun d’entre nous. Ils nous invitent à continuer notre quête d’une société qui chérit la vie humaine en transcendant toutes les différences de races, de religion, de politique et d’idéologie. Cela reste mon espoir le plus profond que cette exposition soit un moment d’introspection pour ceux qui la verront, un moment pour réaffirmer l’importance de nos droits en tant qu’être humain et la valeur de la vie en elle-même.
Gertruda Eisinger, enfant de Terezin. Synagogue Pinkas, Prague.
Petr Ginz, enfant de Terezin. Synagogue Pinkasova, Prague.
Frantisek Bass, enfant de Terezin. Terezin.
Sous la photo d’un visage d’enfant, ce poème :
A little garden / Fragrant and full of roses / The path is narrow / And a little boy walks along it. / A little boy, a sweet boy / Like that growing blossom / When the blossom comes to bloom / The little boy will be no more…
Un petit jardin / Parfumé et plein de roses / Le chemin est étroit / Et un petit garçon s’y promène. / Un petit garçon, un garçon adorable / Pur comme cette fleur qui pousse / Lorsque la fleur sera sur le point de s’épanouir / Le petit garçon ne sera plus…
Elle est une des femmes auxquelles Michel Onfray rend hommage dans son ouvrage paru en mai 2016 : La Force du sexe faible. Contre-histoire de la Révolution Française. Comme Olympe de Gouges, Charlotte Corday ou Mme Roland, elle fut une des premières féministes, et surtout l’une des nombreuses humanistes, de cette période troublée et sanglante de notre histoire. Fille spirituelle de Plutarque et de Condorcet, elle joua un rôle important pour donner à la Révolution un visage humain. Portrait de la « belle Liégeoise ».
Théroigne de Méricourt en 1791. Portrait de Jean Fouquet.
Elle naît Anne-Josèphe Terwagne en 1762, à Marcourt. Campagne de Liège. Aujourd’hui, elle serait Belge. Famille de paysans aisés. Mais très vite la catastrophe s’abat sur elle : orpheline de mère, elle devient le souffre douleur d’une belle mère acariâtre. Cendrillon dans un Siècle des Lumières. De couvent en parent maltraitant, de l’opulence originelle à la misère qui fait son lit, la jeune Terwagne doit son salut à une famille anglaise de passage, qui l’embauche comme dame de compagnie pour les enfants. Elle apprend alors à lire, à écrire, à chanter, à jouer du piano. Elle rencontre un jeune officier anglais. Cendrillon semble vivre son conte de fée.
Sauf que le jeune officier anglais l’emmène à Paris et lui montre son univers familier : celui du libertinage. Le XVIIIème siècle est aussi celui de Sade… Enfant maltraitée, elle devient objet sexuel. Y prend goût ? Elle attrape la syphilis. Et cette maladie la fera souffrir jusqu’à la mort. En passant par la folie.
Pour l’heure, elle prend un traitement à base de mercure qui la fait horriblement souffrir, mais qui éloigne encore la démence. C’est à Paris qu’elle devient Théroigne de Méricourt. C’est la presse royaliste qui l’appelle de cette façon : en l’affublant d’une particule, elle veut la faire passer pour une traîtresse à la cause du roi et comme une ennemie du peuple. Elle loue un logement à Versailles pour suivre les délibérations de l’Assemblée. Elle s’intéresse à l’élaboration de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Elle assiste aux débats entre députés. Elle reçoit chez elle Desmoulins, Sieyès, Brissot. Elle fonde en janvier 1790 la Société des amis de la Loi. Dans ce club, ils sont nombreux, les « think tanks » de l’époque, on propose des idées neuves pour réformer cette société sclérosée aux finances proches de la banqueroute, où la noblesse gaspille et où le peuple meurt de faim. Abrogation de la loi contraignant à payer pour être élu député, citoyenneté entière pour les juifs, « pour les musulmans et les hommes de toutes les sectes », liberté de la presse, égalité entre hommes et femmes. Révolutionnaire, non ?!
La marche des femmes du 6 octobre 1789.
Ce club-là est dissout. Qu’à cela ne tienne, elle en fonde un autre : le club des Droits de l’Homme. Homme au sens d’être humain bien sûr. Les valeurs défendues ? Fraternité, justice, bonnes mœurs, vertu, défense des faibles par l’éducation. Hugo n’a rien inventé…
Théroigne attise les haines. À droite, la haine des ultra royalistes. À gauche, la haine des Montagnards, qui se révèleront d’ultra révolutionnaires sanguinaires. Les Montagnards accoucheront d’un monstre : la Terreur robespierriste. Elle continue son combat pacifiste. Elle fait sienne les idées de Condorcet : abolition de l’esclavage, abolition de la peine de mort, y compris celle du roi, égalité des droits entre hommes et femmes. Ces idées sont diffusées largement par les travaux d’un club mixte qui voit le jour en 1791 : la Société fraternelle des deux sexes. Théroigne en fait évidemment partie.
Fatiguée des attaques continuelles, elle se réfugie un temps en Belgique, sa terre natale, et y exporte les idées neuves de la Révolution. Elle se plonge à nouveau dans la lecture des philosophes antiques. Retour aux sources encore. Considérée comme une complotiste par les ennemis royalistes, elle est arrêtée et incarcérée dans une prison autrichienne. Elle y reste une année entière. Elle y découvre les textes de Rousseau.
De retour en France, celle que la presse royaliste surnomme la « charogne ambulante » est accueillie chaleureusement par les Girondins, les modérés de la Révolution. Ils l’invitent d’ailleurs à témoigner de son aventure à la tribune de l’Assemblée le 1er février 1792. Le procureur de la Commune dit d’elle :
Vous venez d’entendre une des premières amazones de la liberté. Elle a été martyre de la Constitution.
Brissot, leader de la frange girondine, parle d’elle comme d « une amie de la liberté ».Forte de ce soutien, elle crée des légions d’amazones, des phalanges féminines. Elle harangue les citoyennes, elle parle de
progrès des Lumières qui vous invitent à réfléchir (…) il faut prendre pour arbitre la raison(…) Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité, où l’ignorance, l’orgueil, et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps (…) Nous aussi nous voulons mériter une couronne civique, et briguer l’honneur de mourir pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu’à eux, puisque les effets du despotisme s’appesantissent encore plus sur nos têtes que sur les leurs.
Quelle audace ! Quelle témérité ! Quels risques pris aussi dans une Révolution qui prend un tournant résolument machiste et terroriste…. Fessée publique. Insultes de plus en plus violentes dans les journaux hostiles à son action. Notamment de la part de François Suleau, journaliste aux Actes des Apôtres… Celui-ci finit mal : pris à partie et assassiné par une foule populaire animée de vengeance. Théroigne est dans cette foule. Elle ne tue pas. La violence est contre nature pour elle. Mais il n’en faut pas plus pour qu’elle soit arrêtée.
Théroigne de Méricourt en amazone. Auguste Raffet.
Elle n’est pas guillotinée. Elle est enfermée dans un asile, après avoir été déclarée folle… Sans traitement contre la syphilis, qu’elle porte en elle depuis sa jeunesse, folle elle le devient effectivement… Elle passe 23 années de sa vie dans une cellule… Quelle étrange fin pour cette passionnée de la raison…
Ses paroles comme un testament :
Citoyens, arrêtons-nous et réfléchissons, ou nous sommes perdus. Le moment est enfin arrivé où l’intérêt de tous veut que nous nous réunissions, que nous fassions le sacrifice de nos haines et de nos passions pour le salut public.
“If your pictures aren’t good enough, you’re not close enough,” « Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près. » Robert Capa (1913-1954). Les trois autres fondateurs de Magnum : Henri Cartier-Bresson (1908-2004), George Rodger (1908-1995) et David « Chim » Seymour (1911-1956). L’agence franco-américaine, devenue « une communauté de pensée, une qualité humaine en partage, une curiosité de ce qui se passe dans le monde, un respect de ce qui s’y passe et le désir de le transcrire visuellement », comme l’expliquait Cartier-Bresson, fête 70 ans d’images. 1947 – 2017. Tout un pan de l’histoire de l’humanité. De grandes figures immortalisées. Et toute une humanité anonyme entrée dans l’Histoire par les clichés exceptionnels. Des mineurs du Nord photographiés par Seymour en 1935 jusqu’aux images capturées par Matt Stuart après l’attentat terroriste de Manchester il y a quelques jours… En guise de cadeau d’anniversaire, l’agence s’expose et fait découvrir ou redécouvrir ses richesses. Feuilletons l’album…
FRANCE. Normandie. Omaha Beach. Débarquement du 6 juin 1944. Robert Capa.Jeunes mineurs. Nord de la France. David Seymour, 1935.Hongrie, Budapest. Octobre, 1956. Révolution. Erich Lessing.1948. GANDHI. Henri Cartier Bresson.FRANCE. Golfe-Juan, août 1948. Pablo Picasso et Françoise Gilot sa compagne. Robert Capa.USA. 1995. Rosa PARKS. Eli Reed.USA. 1940. Ernest HEMINGWAY. Robert Capa.FRANCE. Boulogne Billancourt, mai- juin, 1936. Ouvriers de l’usine Renault en g;rève. Robert Capa.LONDRES. The Beatles, EMI Studios, Abbey Road Studios.1964. David Hurn.Jimi Hendrix, 1968. Eliott Landy.FRANCE. Château de Versailles. 29 Mai 2017. Emmanuel MACRON et Vladimir POUTINE, A. Abbas.France. Tanya ROBERTS, Roger MOORE et Grace JONES. Permis de tuer. Patrick Zachmann, 1985.New York, 9/11/2001. After the attack of the World Trade Center, Larry Towel.USA. 1958. Enfants dans un cinéma. Wayne Miller.IRAN: TEHERAN Janvier 1979. A. Abbas.USA. New York City. 1951. A new face for the new world. Dennis Stock.FRANCE. Paris. Rue Vignon. 1987. Raymond Depardon.
INDIA. 4. Father and son, A. Abbas, 2012.USA. New York City. Brooklyn. 1986. Mother and son. Eli Reed.CHINA. Place Tien An Men, 1989. Stuart Franklin.Manchester. Mai 2017. Après l’attentat. Matt Stuart.
Ces photos proviennent toutes du site de l’agence Magnum. Pour voir d’autres merveilles de notre histoire, la grande, la petite, suivez ce lien vers le site de Magnum : ici.
16 avril 2016. Tout commence peut-être là… Jordi Savall, gambiste, violoncelliste, chef d’orchestre et chef de chœur de génie, joue et partage la musique avec les migrants de la jungle de Calais…
Vous le connaissez, Jordi Savall… Ou vous connaissez sans doute sa musique, primée notamment aux César… Tous les matins du mondede Corneau, ou Marquisede Véra Balmont… Ce prodige de la musique baroque, d’Espagne, son pays natal, ou d’ailleurs, Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres, Chevalier de la Légion d’Honneur, Ambassadeur européen pour le dialogue interculturel, Artiste de l’UNESCO pour la paix, est non seulement un musicien exceptionnel, mais un humaniste accompli.
Jordi Savall dans la jungle de Calais en avril 2016.
Écoutez ce qui suit, vous allez reconnaître La Gavotte du Tendre de Marin Marais, extrait de Tous les Matins du monde….
Ce morceau-ci, vous le connaissez aussi : Marche pour la Cérémonie des Turcs, de Lully, interprété et dirigé, encore, par Jordi Savall :
Cet homme de talent, qui côtoie les plus grands, a monté un projet ambitieux, audacieux et tellement beau : réunir une vingtaine de migrants pour former un orchestre. Ils viennent de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak. Ils sont musiciens. Ils ont risqué leur vie pour fuir l’enfer. Ils sont hébergés à la Saline Royale d’Arc-et-Senans, classée patrimoine mondial de l’Unesco, et accueilli par le directeur du site, Hubert Tassy. Voici ce que nous pouvons découvrir sur le site internet de ce lieu exceptionnel :
ORPHEUS XXI – MUSIQUE POUR LA VIE ET LA DIGNITE
A l’initiative du musicien catalan Jordi Savall, le projet Europe Créative « ORPHEUS XXI » a pour objectif de permettre l’intégration de musiciens professionnels réfugiés et de transmettre leur culture aux enfants et adolescents déracinés. Au-delà des dispositifs d’accueil et d’aide au logement pris en charge par les pouvoirs publics, la Saline royale et ses partenaires, prennent en compte de manière prioritaire la dimension culturelle des difficultés liées à l’intégration des populations réfugiées. Les populations cibles du projet sont, d’une part, les populations réfugiées (musiciens professionnels, jeunes instrumentistes ou chanteurs, enfants et leur famille) dont nous souhaitons favoriser l’intégration et, d’autre part, les populations locales (citoyens européens) à qui nous souhaitons faire découvrir les valeurs et cultures des réfugiés pour qu’elles enrichissent leurs propres cultures. Nous souhaitons offrir à ces jeunes musiciens la chance de s’intégrer par le travail salarié, d’abord en tant qu’enseignants musicaux dans les écoles, puis en tant que concertistes lors de la tournée de notre orchestre interculturel. Le projet débute le 1er novembre 2016 et se terminera le 31 octobre 2018.
Pour en savoir plus sur la Saline, suivez ce lien.
Notons que les membres de l’association, Coop Agir, et sa présidente, Sylvie Laroche, prennent en charge l’intendance et le logement de ceux qui ne sont plus vraiment des « réfugiés » ou des « migrants », mais des musiciens. Tout simplement.
Les deux vidéos qui suivent ont été réalisées par France Télévision, et relayées par divers médias sur internet.
De cet amour de la musique, de ce mariage de l’Orient et de l’Occident, renaît l’humanité, comme ce fut le cas en 2012, avec Hesperion XXI :
Orpheus XXI. Orphée, héros de la mythologie grecque, fils d’un roi de Thrace et de la muse Calliope. Poète et musicien, il charmait les bêtes sauvages par la musique divine de sa lyre. Même le redoutable Cerbère succomba… Il alla jusqu’ à ramener son amour, Eurydice, des Enfers…
En ce 8 mars, Journée Internationale des Droits des Femmes, il est grand temps de célébrer un deuil… Celui d’un mot : «mademoiselle». Mademoiselle a disparu, quasiment totalement, des formulaires administratifs. Pas encore totalement de notre vocabulaire. Disparition symbolique ? Disparition inutile ? Oh que non, quand on sait le poids et le pouvoir des mots. Quand on est persuadé qu’ils modèlent notre pensée, notre mentalité et donc notre comportement. Petit retour nécessaire sur une question de vocabulaire…
Campagne « madame ou madame », lancée par un groupe féministe.
« demoiselle » vient du latin dominicella, issu lui-même de domina, la « maîtresse de maison ». La domina est une femme d’un milieu aisé, de notables, qui occupe un rang important dans la société antique. Le mot dominicella désigne la version jeune et non mariée de cette classe de femmes. Au Moyen Âge, le mot «damoiselle» désigne toujours cette catégorie de jeunes femmes célibataires de la noblesse. Et le masculin existe : «damoisel» ou «damoiseau». L’égalité est parfaite… Le damoiseau étant ce jeune homme aspirant à devenir chevalier.
Notons que « pucelle » existe aussi. On en connaît une très célèbre, la Pucelle d’Orléans. Ce mot désigne alors, toujours à l’époque médiévale, une jeune femme non encore mariée, et vierge ; on insiste en effet sur la pureté de la personne (pullicella est le féminin de pullus, purulus, purus qui a donné « pur »).
Au fil du temps, « mademoiselle » désigne surtout une femme de haute condition sociale, sans prendre en compte la situation maritale de la dame en question. Souvenons-nous du désespoir de George Dandin, triste héros d’une comédie que Molière présenta en 1666, et qui se plaint, lui riche paysan, de son mariage avec une jeune femme de la noblesse désargentée :
Ah ! qu’une femme demoiselle est une étrange affaire !
« demoiselle » ici désigne bien la femme née noble, mais qui n’éprouve pas toujours le prestige de la catégorie sociale à laquelle elle appartient.
« Mademoiselle » était aussi un titre porté par la nièce du Roi, son frère le plus jeune portant le titre de « Monsieur ». L’appellation « Madame » était normalement d’usage pour les membres de la famille royale… non titrées ou non mariées ! Les exemples les plus connus sont les sœurs de Louis XVI, ou encore Henriette d’Angleterre (épouse de Philippe d’Orléans). La rue Mademoiselle à Paris doit son nom à Louise Marie Thérèse d’Artois, fille du duc de Berry.
Mlle de Scudéry, célèbre écrivaine du XVIIème siècle.
D’autres « Mademoiselles » sont restées célèbres. Les actrices par exemple. Mademoiselle Clairon, actrice populaire du XVIIIème siècle ou Mademoiselle Jeanne Moreau plus proche de nous. Il s’agit d’une tradition qui remonte au XVIIe siècle, et qui s’est conservée chez les sociétaires de la Comédie Française. On pense aussi à Coco, Mademoiselle Chanel. Demoiselles célèbres… et officiellement célibataires, car non mariées, voire non mariables à cause de leur profession…
Coco Chanel en 1920.
Et c’est bien là le problème. Les féministes, dès la fin du XIXème siècle, s’insurgent contre cette discrimination à l’égard des femmes : pourquoi distinguer la femme célibataire, mademoiselle, de la femme mariée, madame, quand chez les hommes cette distinction n’existe pas ? Monsieur, c’est monsieur !
Dans les années 1970, il est encore d’usage d’adresser ou de référencer par « Madame » les femmes célibataires occupant une position d’autorité ou d’indépendance (commerçantes, directrices, …). « Madame » entre dans les normes dans les années 1980 pour les femmes ayant eu des enfants, qu’elles soient mariées ou non, et pour les femmes ayant atteint l’âge adulte. Alors qu’ on appelait encore « mademoiselle » certaines employées comme les vendeuses, les employées de maison ou les préceptrices, même lorsqu’elles étaient mariées.
Depuis, « mademoiselle » en France, « Miss » en Angleterre ou « Fräulein » en Allemagne, tombent en désuétude, et cette mort des mots accompagne une lutte contre les discriminations sexistes dont souffrent les femmes. « Mademoiselle » plaçait la femme dans une sorte de statut de « mineure », « fille de » et pas encore « femme de ». Avec « Madame », on ne considère plus la femme que comme un être indépendant et autonome.
Le 21 février 2012, sur la proposition de la ministre des Solidarités Roselyne Bachelot, le Premier ministre François Fillon dans la circulaire no 5575 supprime l’utilisation des termes Mademoiselle, nom de jeune fille, nom patronymique, nom d’épouse et nom d’époux des formulaires et correspondances des administrations. Le 26 décembre 2012, le Conseil d’État valide la suppression du « Mademoiselle » dans les documents administratifs…
« Parlez-moi d’amour, Oh dites-moi des choses tendres… » 14 février : depuis le XIVème siècle en Angleterre et depuis le XIXème siècle un peu partout ailleurs, les amoureux s’échangent de petits cadeaux en gage de leurs sentiments. Il serait peut-être utile de faire le point sur ce sentiment -ou ce concept ?- qui peut enflammer, consumer ou briser les cœurs… Qu’est-ce que l’amour ? Quelques pistes à suivre et à méditer…
Le couple d’amoureux selon Robert Doisneau.
AGAPE
Les Grecs définissaient trois formes d’amour. L’agape, la filia et l’eros. Déclinées à leur tour selon des modalités terrestre ou céleste. Ainsi, l’agape, c’est l’amour fraternel, l’amitié. L’amour pour ceux et celles que l’on a choisi d’aimer. Les ami(e)s. Il a son pendant : la philanthropia, qui est l’amour agape mais pour l’humanité entière…Voici ce que dit Cicéron, en 44 avant J.C., à propos de l’amitié :
La force que recèle l’amitié devient tout à fait claire pour l’esprit si l’on considère ceci : parmi l’infinie société du genre humain, que la nature elle-même a ménagée, un lien est contracté et resserré si étroitement que l’affection se trouve uniquement condensée entre deux personnes, ou à peine davantage. Ainsi l’amitié n’est rien d’autre qu’une unanimité en toutes choses, divines et humaines, assortie d’affection et de bienveillance : je me demande si elle ne serait pas, la sagesse exceptée, ce que l’homme a reçu de meilleur des dieux immortels. Certains aiment mieux les richesses, d’autres la santé, d’autres le pouvoir, d’autres les honneurs, beaucoup de gens aussi lui préfèrent les plaisirs. Ce dernier choix est celui des brutes, mais les choix précédents sont précaires et incertains, reposent moins sur nos résolutions que sur les fantaisies de la fortune. Quant à ceux qui placent dans la vertu le souverain bien, leur choix est certes lumineux, puisque c’est cette même vertu qui fait naître l’amitié et la retient, et que sans vertu, il n’est pas d’amitié possible !
Une unanimité en toutes choses, assortie d’affection et de bienveillance. Cette définition est toutefois sujette à conditions. Et le philosophe de mettre en garde :
Voici donc les limites à respecter, selon moi : si les mœurs des amis sont bien policées, ils instaureront entre eux une communauté en toutes choses, ambitions, projets, sans aucune exception; en outre, s’il arrivait par accident qu’on dût assister des amis dans des projets pas très convenables, où sont en jeu leur personne ou leur réputation, on s’autorisera un écart de conduite, pourvu que l’honneur n’ait pas à en souffrir gravement. En effet, jusqu’à un certain point, il y a des concessions que l’on peut faire à l’amitié sans qu’il faille vraiment renoncer à notre réputation, ou perdre de vue que la sympathie des citoyens, dans le domaine politique, n’est pas une arme à sous-estimer : qu’il soit ignoble de la récolter par les flatteries et la démagogie n’implique pas que la vertu, qui suscite aussi l’affection, doive le moins du monde être rejetée. Pour lire la suite du texte de Cicéron, suivez ce lien : ici.
Les deux amis les plus célèbres de la littérature française sont sans conteste Montaigne et La Boétie. Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Amitié inconditionnelle, tautologique. Voici ce qu’écrit Montaigne dans ses Essaisà propos de ce noble sentiment :
Les amitiés communes, on les peut départir, on peut aimer en celui-ci la beauté, en cet autre la facilité de ses mœurs (…) ; mais cette amitié qui possède l’âme et la régente en toute souveraineté, il est impossible qu’elle soit double.
La Boétie, génie précoce, avait d’ailleurs écrit ces lignes, prémonitoires, à son ami :
Si le destin le veut, la postérité, sois-en sûr/Portera nos deux noms sur la liste des amis célèbres.
Montaigne et La Boétie, les deux amis les plus célèbres de la littérature française.
Pour relire l’article du Mondequi retrace l’amitié exemplaire de ces deux hommes, c’est par là.
L’amitié, sentiment fort, indéfectible visiblement… Entre personnes du même sexe ? de sexes différents ? L’amitié, plus fort que l’amour car débarrassée de tout sexe ? À méditer…
FILIA
C’est l’amour filial. D’un parent pour son enfant. D’un enfant pour ses parents. Philippe Ariès, dans son ouvrage paru en 1960, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, avait démontré que l’amour n’est pas évident jusqu’au Moyen Âge. La forte mortalité infantile pourrait expliquer ce phénomène. L’idée d’«enfance» existe encore moins… Dès qu’un enfant est sevré et autonome, il est considéré comme un adulte. Pas d’enfance, certes, mais certains historiens remettent en cause la théorie de Ariès sur l’amour qu’on porte aux enfants. Il n’en reste pas moins que la conception de l’enfance, et la place importante que nous accordons à l’enfant dans notre société moderne, trouve ses origines dans un passé proche, avec les progrès de la santé, la contraception et le resserrement de la cellule familiale autour du noyau primordial, parent – enfants.
On n’aime pas ses enfants alors ? On n’aime pas ses parents ? Disons qu’on parlait plutôt descendance et transmission d’un patrimoine avec les uns, et de piété avec les autres. L’amour pour les parents est aussi une invention moderne. Il s’apparente à une affection, la storgedes Grecs, l’amour qui « prend soin ».
Évidemment, les textes de piété filiale sont légion… Je retiendrai ces lignes du Livre de ma mère, de ALbert Cohen, le plus beau chant d’amour pour une mère que la littérature ait pu produire :
Avec les plus aimés, amis, filles et femmes aimantes, il me faut un peu paraître, dissimuler un peu. Avec ma mère, je n avais qu’à être ce que j étais, avec mes angoisses, mes pauvres faiblesses, mes misères du corps et de l âme. Elle ne m aimait pas moins. Amour de ma mère, à nul autre pareil. (…) O toi, la seule, mère, ma mère et de tous les hommes, toi seule, notre mère, mérites notre confiance et notre amour. Tout le reste, femmes, frères, sœurs, enfants, amis, tout le reste n’est que misère et feuilles emportée par le vent. (…) Pleurer sa mère, c’est pleurer son enfance. L homme veut son enfance, veut la ravoir, et s il aime davantage sa mère à mesure qu’il avance en âge, c’est parce que sa mère, c’est son enfance. ALbert Cohen, Le Livre de ma mère, 1954.
EROS
Eros, c’est l’amour charnel, le pendant terrestre de l’amour platonique. Et c’est là que les ennuis commencent. Finies la quiétude et la sérénité. On est inquiet, soucieux de savoir ce que fait l’autre, s’il partage bien les mêmes sentiments, si cet amour durera toujours… Eros se mâtine bien sûr de désir, de pulsion. Freud, et ses successeurs de toutes écoles, démontrent la part importante de la libido dans le sentiment amoureux. Une histoire de phéromones aussi ; ça, ce sont les découvertes en biochimie qui le font apparaître… Ce parfum d’amour dont rêvait Jean Baptiste Grenouille dans le roman époustouflant de Süskind paru en 1985 avoisine la mort… Eros et Thanatos : amour et haine sont deux sentiments voisins. L’amour passion devient oubli de soi, et folie. Albert Cohen, encore, raconte cet amour fou dans le plus beau roman d’amour de la littérature française, selon moi… : Belle du seigneur(1968). Le roman transporte, et l’histoire se métamorphose en tragédie…
Ô cette joie complice de se regarder devant les autres, joie de sortir ensemble, joie d’aller au cinéma et de se serrer la main dans l’obscurité, et de se regarder lorsque la lumière revenait, et puis ils retournaient chez elle pour s’aimer mieux, lui orgueilleux d’elle, et tous se retournaient quand ils passaient, et les vieux souffraient de tant d’amour et de beauté.
Quatrième de couverture de Belle du Seigneur, Albert Cohen.
En littérature, en art, on dirait que l’amour, pour durer, doit demeurer impossible, voué à l’échec, voire à la mort ; les amoureux célèbres sont des amants malheureux : Roméo et Juliette, Tristan et Yseult, Pyrame et Thisbé, Orphée et Eurydice…
Célèbre statue d’Eros de Picadilly Circus, Alfred Gilbert (1892).
Et dans la vraie vie ? Comment dure un amour ? Mais si Freud avait raison ? Et si aimer, quelle que soit la forme d’amour, c’était toujours n’aimer que soi à travers les autres… Pour Helen Fisher, il existerait même une loi implacable du cycle amoureux, sa moyenne ne dépassant pas trois ou quatre ans, tout au plus. Cela correspondrait à un « cycle naturel ». C’est le temps qu’il faut pour nouer une relation, faire un enfant et s’assurer des soins nécessaires à la petite enfance. Dès lors, le couple pourrait alors se séparer et chacun trouver un nouveau partenaire. Loi évolutionniste ou pas, les sentiments sont fragiles (H. Fisher, Histoire naturelle de l’amour, Robert Laffont, 1994). On dirait que la recette du bonheur dans le couple s’accommode d’une pincée de chacune des formes d’amours examinées ci-dessus : un peu d’eros pour assouvir la jeunesse des sens, un peu de filia et de storge, pour prendre soin de l’autre, un peu de philanthropia pour comprendre erreurs et errements, un peu d’agape pour que l’être aimé demeure un(e) ami(e), tout au long des années… Et si l’amour n’était pas un sentiment, mais un concept ou un art…Ovide, au début de notre ère, donne des conseils dans son Art d’aimer. Art de séduire et art d’être aimé :« Sois aimable et tu seras aimé ».L’Art d’aimerest également le titre d’un livre publié en 1956 par Erich Fromm (1900-1980), l’un des philosophes freudo-marxistes de l’école de Francfort. Voici ce qu’il dit de l’amour :
La première démarche qui s’impose est de prendre conscience que l’amour est un art, comme vivre est un art.
L’amour authentique suppose de surmonter notre narcissisme ou notre dépendance pour fonder une relation amoureuse basée sur le respect de l’autre. Pour Ovide comme pour Fromm, l’amour n’est pas un sentiment qui va de soi, mais il s’entretient et se cultive…
Nous renvoyons au très riche article de Jean François Dortier, publié en septembre 2015, dans la revue des Sciences Humaines. C’est par ici.
Fauteuil trône, drapé soyeux et rouge profond. Fauteuil traîne, tulle et chapeau blanc. Fauteuil arbre, branches colorées et oiseaux des îles. Robes accordéons pour accordéonistes. Ombrelles et dentelles. Parapluies à gouttes de tulle, froufrous en noir et blanc. Robes de soirée à cœurs et pompons papiers collés. Robes à tubes et tuyaux dorés. Rouge boudeur et boutons de roses. Robe à visage, robe à lunettes et escarpins vernis. Tubes et lamelles de métal noir, tresses africaines brunes et blondes. Froufrou fourrure et fauteuil chauve souris. Les créations du Défilé hors normes CHACUN FAIT AS MODE, présentées ce samedi 21 janvier au Grand Sud à Lille, ont enflammé le podium d’un soir et les cœurs des spectateurs. Retour sur ce moment hot en couleurs et en joie…
Une différence ? L’une est blonde, l’autre est brune…. Photo de Jérôme Haremza.
UN DÉFILÉ DÉFI
88 mannequins, valides, non valides, 150 personnes mobilisées pour créer l’événement. De la création des costumes à la mise en scène. Enfants et jeunes de l’IEM Jules Ferry de Lille et de l’IEM Dabbadie, à Villeneuve d’Ascq ; enfants et jeunes des Services d’éducation et de soins spécialisés à domicile, les SESSDJean Grafteaux, Les Près, Marc Sautelet basés à Villeneuve d’Ascq encore ; enfants et jeunes venus de tous les coins des Hauts de France, qui sont sollicités pour créer des costumes et les présenter au public. Comédiens de La Folle Avoine, danseurs de N’DIDANCE, de Danse qui veut et Abdallah le danseur prometteur. Jongleurs de la Freaky Factory. Techniciens de la Salle du Grand Sud. Partenaires du Centre social de l’Arbrisseau.Ambassadeurs de la Ville de Lille. Bénévoles de l’Amicale Marc Sautelet. De l’APF. De Don de Soie. D‘Épin’Art. Coiffeurs et coiffeuses de l’école InformatIf. Spécialistes de La Maison des Modes. Le Rêve de Norinia et Catherine Faidherbe, LMAC et Audrey Boulfroy en grands commanditaires et organisateurs de cet événement fou. Annie Fovette en créatrice de mode et en directrice artistique. Bernard Philippe enfin, metteur en scène, rassembleur de pièces de puzzle, en grand architecte de ce monument d’un soir. Permettre à tout ce petit monde de réaliser un rêve : être créateur et mannequin le temps d’un défilé… Mission accomplie, défi relevé…
Mannequins d’un soir… Photo de Jérôme Haremza.
UN DÉFILÉ QUI FAIT FI DES DIFFÉRENCES
Édouard et Pénélope, maîtres de cérémonie de la Cie théâtrale La Folle Avoine, nous préviennent : on
Mannequins d’un soir… Photo de Jérôme Haremza.
fait fi des différences. De la différence. On raye le mot de son vocabulaire. Parce que les différences, on ne les soupçonne pas ! Jeunes ou (beaucoup) moins jeunes, noirs et blancs, filles et garçons, hommes et femmes, enfants et adultes, valides et non valides… On a en effet du mal à percevoir ce qui les différencie. Par contre, on voit immédiatement ce qui se ressemble et qui les rassemble. Ce sont les mêmes explosions de couleurs, de formes et d’inventivité dans la création des costumes. C’est la même démarche assurée, sur le podium et dans les têtes. Ce sont les mêmes mimiques et minauderies empruntées en un clin d’œil aux pro de la mode. Ces sont les mêmes sourires accrochés à tous les visages et les mêmes baisers de fraternité envoyés au public. C’est la même émotion, sur scène et dans la salle. Légère et s’exaltant au fil du défilé, à l’image de ces petits ballons qui s’échappent d’une robe enfantine…
Robes ballons… un exemple de créations…Photo de Jérôme Haremza.… et des sourires sur tous les visages… Photo de Jérôme Haremza.
UN DÉFILÉ… LA FIN ?
Fantaisie, Poésie, Insolite, Fashion. 4 mouvements d’une symphonie éclectique, reliés par des impromptus de danse, de comédie, d’humour, de musique et de mystère. Gentillesse, rires, amour, joie, 4 mots cueillis au hasard du défilé, 4 mots accrochés à un parapluie, qui résument à merveille l’esprit de cette soirée unique… Pour prolonger encore un peu cette communion entre acteurs et spectateurs, des photos, prises par François Dehaene et Virginie Rooses. Et un DVD est en préparation. Parce qu’on ne peut que graver un souvenir de cette intensité…