La décision est tombée. Déception des uns, contentement des autres, compréhension de tous. Il n’y aura pas de braderie de Lille cette année en 2016.
Notez bien qu’on dit « la braderie de Lille », et non pas « la braderie à Lille », ou « la foire », tant cette manifestation est- était ? – unique en Europe : mélange de commerçants attitrés et de « bradeux » amateurs, amateurs de moules frites, amoureux de brocante, promeneurs et flâneurs de toute la région et d’une partie de l’Europe du Nord. Pourtant, le caractère de cette foire dont on peut déplorer l’annulation un peu tardive – Michèle et Josette avaient déjà rempli leur camion de « vieuseries » qui leur auraient rapporté de quoi se payer des vacances à Stella Plage l’année prochaine et les restaurateurs, et autres professionnels, avaient déjà assuré leurs commandes aux fournisseurs – ne prend sa forme que dans un passé très récent…

La foire ou « franche foire », qui avait lieu à Lille au Moyen Age, se tenait juste après le 15 août sur la Place du Marché (actuelle Place du Général de Gaulle) et réunissaient des commerçants qui pouvaient y vendre exceptionnellement leurs produits. Du tissu essentiellement. La première dont on garde une trace grâce aux chroniques de Galbert de Bruges, remonte à 1127. Cette foire de Lille était à ce titre une foire aussi courue à l’époque que celle d’Ypres, de Bruges, de Torhout ou de Messines. Lille était flamande à l’époque…

La foire se développe durant le Moyen Age. Elle est rendue possible par l’amélioration des routes qui mènent aux grandes villes flamandes. En 1446, deux marchands, Godin Maille et Pierre Tremart, s’installent sur la place et vendent autre chose que du tissu : des volailles et des harengs. En flamand, « rôtir » se dit « braden » ; le mot « braderie » semblerait donc tirer son origine du poulet rôti et non pas des moules frites…
La foire devient vide grenier au début du XVIème siècle (en 1523) : les domestiques obtiennent l’autorisation de leurs patrons de vendre de menus objets usagés… Un siècle plus tard, les voies d’accès s’améliorent et le commerce se développe plus facilement. Les marchands n’attendent plus les foires pour se répandre sur les marchés… La foire de Lille voit son public se colorer d’artistes ambulants qui donnent un air de fête à cette manifestation de plus en plus populaire.
Au XIXème siècle, des bourgeois et des camelots venus d’autres bourgades viennent à Lille vendre leurs objets. Et c’est à la fin du XIXème siècle que les frites apparaissent ! Avec les forains qui viennent de plus en plus nombreux, apportant avec eux l’électricité, les frites en cornet et la fête. Évidemment les deux conflits mondiaux et la reconstruction voient se ternir cette manifestation qui refleurit avec les Trente Glorieuses. On vient à la braderie de Lille aussi pour consommer autrement, pour acheter de l’ancien ou du pas cher. Sorte de réaction à la fièvre de consommation de ces années d’opulence économique…
La moule frite lilloise est une quadragénaire qui se porte bien. Et gageons que l’annulation de la braderie cette année n’empêchera pas le tissu populaire de se reformer autour des monceaux de coquilles vides devenus symboles d’une convivialité qui ne veut pas se perdre…