LUCIE, LUCE, LUMIERE

Le 13 décembre, nous fêtons traditionnellement les Lucie. Prénom plein de lumière… Mais qu’est-ce que cette fête vient faire là, dans ce premier tiers du mois de décembre, alors que le solstice d’hiver nous fait miroiter une vraie bascule vers la lumière retrouvée, à peine 11 jours après ? Explications…

Retable de Sainte Lucie. Musée de Contes.
Retable de Sainte Lucie. Musée de Contes.

À LA SAINTE LUCE…

… le jour avance du saut d’une puce. Dicton qui veut dire qu’à partir de la Sainte Lucie, le 13 décembre, le soleil se couche plus tard que la veille dans l’hémisphère nord. Mais il semblerait que l’explication provienne plutôt du passage du calendrier julien au grégorien, qui eut lieu en France le 9 décembre 1582. Le 13 décembre dans le julien correspond à notre époque au 26 décembre, date à laquelle la durée du jour commence à augmenter effectivement. Lucie représente la sainte Lumière qui protège la vue comme les yeux. Lux, lucis, la lumière en latin. Nous sommes à la mi-temps de l’Avent. La lumière va se faire de plus en plus proche. Et la Sainte Lucie est une fête très populaire dans le nord de l’Europe, notamment en Suède, au  Danemark, en Finlande et en Norvège. Pays où l’obscurité règne une bonne partie de l’année. En France ? À Montbéliard, on organise le Défilé des Lumières. En Alsace, Lucie devient Christkindel : une jeune fille vêtue de blanc et portant une chandelle. Elle accompagne Saint Nicolas et le Père Fouettard. Tandis que ce dernier punit les enfants qui n’ont pas été sages, Lucie-Christkindel dresse la liste de leurs bonnes actions pour les récompenser…

Lucia-13.12.06

LUCIE DE SYRACUSE

Lucie est une jeune fille qui vécut à Syracuse entre la fin du IIIème et le début du IVème siècle. Elle obtint de Sainte Agathe la guérison de sa mère. Elle distribuait les biens qu’elle possédait aux pauvres et avait fait vœu de chasteté. Ce qui mit très en colère le fiancé à qui elle était promise. On raconte qu’elle se creva les yeux et qu’elle les lui envoya dans une boîte pour se dédire. On raconte que le fiancé éconduit aurait dénoncé Lucie à Dioclétien, qui poursuivait les Chrétiens. Elle montra une résistance sans faille. Et un « miracle » voulut que les soldats romains, qui voulaient l’emmener de force dans un lupanar pour qu’elle perdît sa chasteté, ne purent remuer son corps d’un pouce. On la martyrisa donc autrement : en transperçant sa gorge d’une épée…

Santa_Lucia_-_Quirizio_da_Murano

 Bonne fête de la lumière, et ouvrez l’œil… !

image 1

image 2

image 3

LA DUDH ET LE POLITIQUE

La DUDH et le politique. Ça ressemble au titre d’une fable. Ça pourrait être le titre d’une fable. Dans laquelle la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ratifiée le 10 décembre 1948 (anniversaire !) serait délaissée par un petit homme repu, le politique, satisfait de lui-même, qui aurait oublié qu’être élu, c’est être « au service de ». Et non pas « se servir ». Un petit homme (ou une petite bonne femme) qui aurait oublié que « s’engager » c’est respecter un contrat, moral ou social, avec ceux qui vous ont engagé. Et si on instaurait un examen de passage qui imposerait aux candidats en politique de connaître par cœur…disons…allez, au moins le Préambule et l’article premier de ce texte si beau, si fondamental, si plein de promesses….

dudhLA DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L’HOMME

10 décembre 1948. Les 58 membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) siègent pour la dernière fois à Paris, au Palais de Chaillot. The Universal Declaration of Human Rights est rédigée sous l’égide d’Eleanor Roosevelt, veuve du président américain, avec le concours éclairé du juriste français René Cassin. Malgré sa volonté universaliste, ce texte exprime par endroits la pensée occidentale du XXe siècle dans ses deux volets, communiste et libéral. Il reprend dans les grandes lignes les principes universels de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Mais il est surtout daté, inscrit dans une époque, et manque, pour le coup, d’universalité, si on regarde de près certains articles. L’article sur le mariage, article 16, par exemple, n’aurait eu aucune chance d’être agréé au XXIe siècle, tant par les États qui autorisent la polygamie (inégalité de droits entre les sexes) que par ceux qui légitiment les unions homosexuelles : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution ».

Mais ce texte fondamental a le mérite d’exister… Il dessinait les bases d’une société plus fraternelle, plus respectueuse de l’être humain, après l’horreur des camps, après l’impensable, après la catastrophe, après la barbarie. Relisons-le, en ces temps si troublés.

UN REMPART CONTRE LA BARBARIE

Relisons le Préambule, donc… 

Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.

Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme.

Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression.

Considérant qu’il est essentiel d’encourager le développement de relations amicales entre nations.

Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande.

Considérant que les États Membres se sont engagés à assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Considérant qu’une conception commune de ces droits et libertés est de la plus haute importance pour remplir pleinement cet engagement.

L’Assemblée générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des États Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction.

ARTICLE PREMIER

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

calendrier

image 1

image 2 ( le paon symbolise, traditionnellement, l’orgueil, l’ego… )

CDK. 1789. 2019.

Amateurs d’histoire et de musique, ne manquez ce rendez-vous unique à Coudekerque Branche : la commémoration des 230 ans d’existence de la commune, le 14 décembre prochain.

Armoiries de Coudekerque Branche

Ils se sont dépassés pour vous offrir un petit spectacle le 14 décembre 2019, à 15h, à l’Eglise Sainte Thérèse de Coudekerque Branche, rue Ghesquière. Qui « ils » ? Les élèves de l‘Ecole Municipale de Musique et de Danse de Coudekerque Branche, soutenus par les chanteurs de la chorale Allegro. Mais que fêtent-ils ?

Pas Noel, c’est encore trop tôt… Mais les 230 ans d’existence de la Commune de Coudekerque Branche. En effet, le 14 décembre 1789, les habitants de la Branche, qui dépendent encore de la Commune de Coudekerque à l’époque (Coudekerque Village aujourd’hui) se réunissent et décident de se former en municipalité, comme les y autorisent les « Edits des mois d’août 1764 et mai 1765 », et « conformément au décret de l’Assemblée Nationale du douze novembre dernier, sanctionné par lettres patentées de sa Majesté du mois de décembre suivant ». Cette autonomie des 1400 âmes qui constituaient la Branche était une requête des fameux Cahiers de doléances et pétitions rédigés, à la demande du Roi Louis XVI, à partir de janvier 1789 :

Copie de la 1ère page du Cahier de Doléances et pétitions des habitants de la Branche de Coudekerque du 22 mars 1789.

Le 22 mars 1789, au lieu dit du Pont Tournant, au Petit Steendam, dans le cabaret du dénommé Micheaux, des habitants de la Branche de Coudekerque se sont rassemblés, et voilà ce qu’on entend et fait écrire sur le cahier de doléances… :

Doléances et pétitions des habitants de la Branche de Coudekerque, territoire de Dunkerque, à insérer au cahier du Tiers Etat de la Flandre maritime et objets du mandat à donner à Messieurs les Députés aux Etats généraux...

Pour découvrir la suite, rendez-vous le samedi 14 décembre… Les élèves de la classe Arts de la Scène-Théâtre de l’EMMD, animée par Marjorie Tricot, vous raconteront cette fabuleuse histoire. En musique, grâce aux professeurs et aux élèves instrumentistes réunis dans la Sinfonietta, orchestre de l’Ecole, sous la houlette de Ludovic Minne. Et en chansons, grâce à la chorale de l’Ecole, dirigée par Sébastien Blanquart, soutenue par la chorale Allegro.

Affiche de l’événement.

Entrée libre. Venez nombreux !

Merci à M. Régis Jonckherre, « Monsieur Histoire » de la Mairie de Coudekerque Branche, pour sa précieuse collaboration !

Images 1, 2 et 3 : crédits photo Le Mag@zoom.

MDT à L’EMMD de CDK ou MUSIQUE DANSE THEATRE à l’Ecole Municipale de Musique et de Danse de Coudekerque Branche…

« Le 21 juin, ce sera l’été. Et pour fêter son arrivée, M. Jack Lang, Ministre de la Culture (applaudissements) a décidé de lancer une vaste fête de la musique. » C’est par ces mots, prononcés par les élèves de la section Théâtre, que l’Ecole Municipale de Musique et de Danse (et de Théâtre, hihi !) de Coudekerque Branche a lancé son spectacle de fin d’année, le 15 juin dernier, dans la Salle Molière de l’espace Jean Vilar… Retour en images sur ce grand moment…

Elèves de la section "Pratique collective-Théâtre" de l'EMMD.
Elèves de la section « Pratique collective – Théâtre » de l’EMMD, dirigée par Marjorie Tricot.

Un orchestre symphonique, une petite Harmonie, des danseuses, des choristes et des comédiens ont assuré le spectacle de clôture d’une année de travail. Les élèves et leurs professeurs ont travaillé sur des œuvres aussi variées que la Septième Symphonie de Beethoven, Palladio de Karl Jenkins, l’Ave Maria de Cacini et/ou de Vavilov, la Barcarolle d’Offenbach ou Carmina Burana de Karl Orff…

La Symphonietta, dirigée par Ludovic Minne, et la Chorale, dirigée par Sébastien Blanquart.

Les élèves de fin de Cycle I et de fin de Cycle II, en formation musicale, instrument et danse, ont été récompensés…

Les élèves de la section Théâtre (pratique collective proposée cette année, en plus du chant choral et de l’orchestre) ont assuré la fluidité des transitions en interprétant des saynètes inspirées de Feydeau ou de textes d’auteurs à propos de la musique.

Après Misérables ! en 2016 (voir les articles, par , et , ici, et ici et ) , Roméo et Juliette en 2018 (voir les articles ici et ), les professeurs des différentes sections (orchestre, chorale, danse et théâtre) disposent d’un vivier dynamique d’élèves motivés pour monter dès septembre prochain un autre grand spectacle : Notre Dame de Paris. 1482-2020. D’après le roman de Victor Hugo (1831), bien sûr, et qui puisera aussi aux sources du ballet de Jules Perrot et Cesare Pugni, créé en 1844, La Esmeralda, et de celui de Roland Petit, sur une musique de Maurice Jarre, joué en 1965. Des extraits du Bossu de Notre Dame, dessin animé sorti en 1996 et de la comédie musicale, qui a fêté ses 20 ans d’existence en 2018…

Bravo encore à tous ces jeunes talents ! Et rendez-vous dès la saison prochaine, pour jouer, danser, bref fêter la musique, et tous les arts, à l’EMMD de CDK !

Merci à Amandine Plancke, photographe de la Ville de Coudekerque Branche, pour les photos…

TRAGEDIES DE L’ESCLAVAGE

Parce qu’aujourd’hui, en Lybie, on achète et on vend des candidats au rêve occidental qui meurent oubliés de tous en pleine Méditerranée. Parce qu’aujourd’hui, en Syrie ou dans certains pays d’Afrique, on achète des femmes pour combler les rêves de Paradis de soldats fous de Dieu… Parce qu’aujourd’hui, en Afrique encore, on achète des enfants pour qu’ils travaillent à l’extraction de minerais précieux à la fabrication de nos smartphones. 10 mai. Depuis le  31 mars 2006, la journée du 10 mai est officiellement reconnue comme « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions ». Le but ici n’est pas de retracer l’histoire du commerce triangulaire, de la traite jusqu’à l’abolition, acquise après maints revirements. Voyez plutôt une modeste contribution au « devoir de mémoire ». Pour ne pas oublier ce crime contre l’humanité. Des mots pour méditer sur l’esclavage, et l’esclavage moderne en particulier. Deux œuvres théâtrales qui traitent de la traite…

Statue en Mémoire de l'Esclavage, Robert Ford, Ile de Gorée, Sénégal.
Statue en Mémoire de l’Esclavage, Robert Ford, Ile de Gorée, Sénégal.

TRAGIQUE CÉSAIRE

La Tragédie du Roi Christophe. Aimé Césaire. 1964. On est à l’époque en pleine décolonisation. Et cette pièce contre les tyrannies, toutes les tyrannies, semble dirigée à la fois contre l’esclavage en Haïti au début du XIXème siècle (elle s’inscrit dans ce contexte historique) et aussi contre l’Europe colonisatrice qui perd peu à peu de son hégémonie dans les années 1960. Cette pièce raconte la lutte du peuple haïtien pour la liberté. Elle raconte aussi l’irrésistible chute de Henri Christophe, ancien esclave, dans la démesure et la mégalomanie. Lui, le héros de la révolte des esclaves, compagnon de lutte de Toussaint Louverture, est nommé Président à vie en 1807, puis roi. C’est ce que Aimé Césaire raconte. À l’esclavage succède un autre esclavage. Le tyran blanc laisse la place à un tyran noir. Comment concilier les lourds héritages de l’esclavage, de la décolonisation et des racines africaines ?  Sassou N’Guesso, Biya… et bien d’autres ressemblent étrangement au Roi Christophe… Laissons parler la poésie du texte de Césaire. Écoutons ce que Madame Christophe reproche à son époux :

Christophe, à vouloir poser la toiture d’une case, sur une autre case, elle tombe dedans ou se trouve grande ! Christophe ne demande pas trop aux hommes et à toi-même, pas trop ! Et puis je suis une mère et quand parfois je te vois emporté sur le cheval de ton cœur fougueux, le mien à moi, trébuche et je me dis : pourvu qu’un jour on ne mesure pas au malheur des enfants la démesure du père. Nos enfants, Christophe, songe à nos enfants. Mon Dieu ! Comment tout cela finira-t-il ?

Et voilà ce que répond Henri Christophe :

Je demande trop aux hommes ! Mais pas assez aux nègres, Madame ! S’il y a une chose qui, autant que les propos des esclavagistes, m’irrite, c’est d’entendre nos philanthropes clamer, dans le meilleur esprit sans doute, que tous les hommes sont des hommes et qu’il n’y a ni Blancs ni Noirs. C’est penser à son aise, et hors du monde, Madame. Tous les hommes ont mêmes droits. J’y souscris. Mais du commun lot, il en est qui ont plus de devoirs que d’autres. Là est l’inégalité. Une inégalité de sommations, comprenez-vous ? A qui fera-t-on croire que tous les hommes, je dis tous, sans privilège, sans particulière exonération, ont connu la déportation, la traite, l’esclavage, le collectif ravalement à la bête, le total outrage, la vaste insulte, que tous, ils ont reçu plaqué sur le corps, au visage, l’omni-niant crachat ! Nous seuls, Madame, vous m’entendez, nous seuls, les nègres ! Alors, au fond de la fosse ! C’est bien ainsi que je l’entends. Au plus bas de la fosse. C’est là que nous crions ; de là que nous aspirons à l’air, à la lumière, au soleil. Et si nous voulons remonter, voyez comme s’imposent à nous, le pied qui s’arcboute, le muscle qui se tend, les dents qui se serrent, la tête, oh ! la tête large et froide ! Et voilà pourquoi il faut en demander aux nègres plus qu’aux autres : plus de travail, plus de foi, plus d’enthousiasme, un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas ! C’est d’une remontée jamais vue que je parle, Messieurs, et malheur à celui dont le pied flanche !

Et Césaire encore : Savez-vous pourquoi il travaille jour et nuit ? Savez-vous, ces lubies féroces, comme vous dîtes, ce travail forcené… C’est pour que désormais il n’y ait plus de par le monde une jeune fille noire qui ait honte de sa peau et trouve dans sa couleur un obstacle à la réalisation des vœux de son cœur.

D’UNE TRAGÉDIE À L’AUTRE

La Mission, Souvenir d’une révolution. Heiner Muller. Magnifique, encore. Parue en 1979. Jouée pour la première en France en 1982. Le contexte historique de l’action : la première tentative d’abolition de l’esclavage aux Antilles après la Révolution Française. Cela commence avec la révolte des esclaves de Saint Domingue en 1791. En février 1794, l’abolition est proclamée dans toutes les colonies françaises. C’est Bonaparte, Napoléon Ier, qui rétablit l’esclavage, sous la pression des « lobbies économiques » de l’époque, en 1802. La Mission rejoue ces soubresauts, cette lutte sanglante entre Blancs et Noirs. Et c’est le personnage de Sasportas qui porte la voix noire de la révolte dans cette tragédie :

J’ai dit que les esclaves n’ont pas de patrie. Ce n’est pas vrai. La patrie des esclaves est le soulèvement. Je vais au combat, armé des humiliations de ma vie. (…) Les morts combattront quand les vivants ne pourront plus. Chaque battement de cœur de la révolution fera de nouveau croître de la chair sur leurs os, du sang dans leurs veines, de la vie dans leur mort. Le soulèvement des morts sera la guerre des paysages, nos armes les forêts, les montagnes, les mers, les déserts du monde. Je serai forêt, montagne, mer, désert. Moi, c’est l’Afrique. Moi, c’est l’Asie. Les deux Amériques, c’est moi.

Cette tragédie contemporaine met en garde, elle aussi, contre les mirages de la liberté. Contre les tyrannies qui prennent la place d’autres tyrannies. Contre ces libérateurs qui se révèlent dictateurs.

La révolution n’a plus de patrie, ce n’est pas nouveau sous le soleil qui ne brillera peut-être jamais sous une nouvelle terre, l’esclavage a de multiples visages, nous n’avons pas encore vu le dernier (…) ce que nous avons pris pour l’aurore de la liberté n’était peut-être qu’un nouvel esclavage plus effroyable (…) et ta bien-aimée inconnue, la liberté, quand ses masques seront usés, peut-être n’aura-t-elle pas d’autre visage que la trahison.

La Tragédie du Roi Christophe, Aimé Césaire. La Mission, Heiner Müller. Deux pièces à voir, à revoir, à lire, à relire. Deux tragédies sur l’esclavage. Deux tragédies de la négritude. Deux poings d’interrogation sur la liberté et sur l’humaine condition.

image

LE DERNIER LUNDI DE BERNARD A CASSEL…

La saison carnavalesque est terminée ?  Pas tout à fait. Il reste un carnaval. Le dernier… Enfin, pas pour les carnavaleux qui honoreront toujours ce rendez-vous. Mais pour Bernard Minne, Tambour Major de Cassel depuis 50 ans, et qui  conduira le Réveil et la Bande des Arlequins pour une ultime fois…  Dernier Lundi de Pâques à Cassel pour lui… avant de transmettre son chapeau en demi lune et son habit rouge à son fils Vincent… Vous ne connaissez pas cette manifestation haute en couleurs et en bonne humeur ? On vous la fait découvrir ici.

Affiche ancienne pour le Carnaval d'été de Cassel.
Affiche ancienne pour le Carnaval d’été de Cassel.

UN LUNDI AU SOLEIL

Un carnaval d’été un lundi de Pâques ? Y’aurait pas comme un meshplek dans le calendrier ? C’est vrai que Pâques, c’est au printemps. Bernard Minne, Tambour Major au cœur gros comme ça, nous donne la clé de ce mystère calendaire : en 1929, quand les intempéries particulièrement rigoureuses de l’hiver empêchent les Casselois de sortir les géants pour le traditionnel carnaval de Mardi Gras, Les Amis du Reuze cherchent une date pour reporter les festivités. La seule qui convienne : le lundi de Pâques. Qu’à cela ne tienne : cette année-là, on fêtera le dernier jour avant Carême, quand celui-ci sera terminé ! Sauf que ce lundi de Pâques-là, il a fait plus de 30 degrés ! Au point que les brasseurs se sont retrouvés en rupture de stocks pour abreuver les carnavaleux déshydratés ! Depuis, non seulement on a conservé cette date pour « remettre ça » après le carnaval d’hiver, mais on a aussi conservé cette appellation de « carnaval d’été » au printemps !

LES CASSEROLES DE CASSEL

Et le premier  temps fort de cette pittoresque  journée est le Réveil. Pas de grasse matinée. À 6 heures précises, le Tambour Major lève sa canne, donne le coup de sifflet et le coup d’envoi de ce concert de tambours, de cymbales et autres casseroles en tous genres. Joyeuse bande bruyante, bigarrée et souriante qui défile dans les rues de la ville pour chasser les mauvais esprits et les esprits bougons. Ici, on sait se lever tôt pour perpétuer la tradition et faire la fête ! Un avant goût de cette très matinale avant bande :

Vous avez vu le sourire lumineux de la cantinière ? Isis Mahieu officie depuis plus de 20 ans maintenant. Mais le plus rayonnant, c’est le Tambour Major : vous avez vu comme il est beau ? Et unique ! Rien à voir avec les autres meneurs de bandes, à chako poilu et redingote napoléonienne. Ici, le rouge est de rigueur. Et le chapeau exceptionnel. Sur le devant, l’effigie de Reuze Papa, Géant protecteur de Cassel, et sur l’arrière le fameux Pierrot des vieilles affiches carmin annonçant l’événement. Celui que porte Bernard Minne date de 1967 ; c’est son père, Marceau Minne, qui l’avait arrangé un peu avant de lui léguer à sa mort. Bernard se souvient de ses sœurs découpant des affichettes et les collant sur ce chef d’œuvre de couvre chef. Une affaire de famille. D’ailleurs, c’est à son fils Vincent qu’il lèguera ce costume unique ce lundi de Pâques 2019…

Carnaval du Lundi de Paques - Reveil et Bande des Arlequins
Vincent Minne aide son père, Bernard, à ajuster cet unique couvre chef de Tambour Major.

LA DANSE DES GÉANTS

C’est vrai qu’il y a la bande des Arlequins, vers 10h ;  ainsi appelée parce qu’autrefois la plupart de ceux qui y prenaient part se déguisaient en Arlequin, personnage typique du carnaval de Venise.  C’est vrai qu’il y a le Four Merveilleux, qui promène à travers la cité  le docteur Kakiskhof, son diable, ses mitrons et ses musiciens pour rajeunir les vieux et redresser les bossus.

C’est vrai qu’il y a ces groupes venus de toute la Flandre, et parfois de contrées très lointaines,  harmonies, lanceurs de drapeaux, Gilles de Binche, majorettes et autres danseurs pour mêler au rouge et au blanc de Cassel les couleurs des autres traditions folkloriques.

C’est vrai. Mais la sortie des seigneurissimes Reuze Papa, le plus ancien des géants du Nord (créé en 1827), et Reuze Maman, géants de Cassel, classés par l’UNESCO au titre de Monuments Historiques depuis 2000, ça vous transporte et ça vous remplit de joie. Vous retrouvez votre âme d’enfant, et vous vous surprenez à chantonner la Reuze Lied, composée en 1882, par Auguste Taccoen, chef de l’Harmonie de l’époque. Pendant que les Grosses Têtes qui les précèdent s’amusent à effrayer les enfants, Reuze Papa et Reuze Maman dansent.

Et leur danse, solennelle et infiniment renouvelée, vous réconcilie avec les joies simples de la Tradition. Au sens premier du terme. Les valeurs qu’on porte et qu’on transmet. Alors on danse. Avec les géants. Et on danse le renouveau de la nature et de la vie dans ce printemps casselois. On danse l’amour et la joie de vivre. Tout simplement. Y en a qui dansent et qui transpirent : les porteurs. Ils sont une douzaine à se relayer. Toute la journée. Peut-être croiserez-vous Vincent Minne, le fils du Tambour Major, qui, en digne fils de son père,  est promis à conduire le Réveil et la bande quand Bernard lui confiera sa canne demain, porte le Reuze.

Bernard Minne, Tambour Major, regarde avec fierté et bienveillance son fils Vincent qui prendra un jour la relève...
Bernard Minne, Tambour Major, regarde avec fierté et bienveillance son fils Vincent qui va prendre la relève…

Mais le plus beau, et ça c’est Bernard Minne lui-même qui le dit, c’est la rentrée des Géants.  Demain soir, le coucher sera empreint de nostalgie Mais la relève est assurée, et Bernard gardera cette dernière image comme l’une des plus touchantes de toutes celles qui ont coloré ces 50 années de joie. Auprès d’Evelyne son épouse toujours  à ces côtés dans les ruelles de Cassel. Auprès des Casselois toujours à ses côtés depuis le premier carnaval d’été en 1969… Laissons-lui la parole pour conclure :

A Cassel, y en a pour tous les goûts. Tout est beau. Mais le plus beau, c’est la rentrée des géants. Tout bon Flamand doit voir la rentrée des Géants pour ne pas mourir idiot. La lumière des torches dans le soir, les reflets des Géants sur les façades, c’est magnifique.

 Alors, rendez-vous à Cassel, lundi 22 avril dès 6h du matin, et jusqu’au soir, pour un carnaval d’été … au printemps !

Progrmme du Lundi de Pâques 2019.

image 1 : reproduction LeMag@zoom.

image 2

image 3

image 4

POURQUOI TANT DE POISSONS LE 1ER AVRIL ?

1er avril : jour béni pour les enfants, les taquins et autres farceurs. Mais d’où vient cette tradition ? Pour en savoir plus, par ici…

Le fameux et énigmatique poisson d'avril...
Le fameux et énigmatique poisson d’avril…

UNE HISTOIRE DE CALENDRIER

Depuis un peu plus de 500 ans, notre année civile commence le 1er janvier. Il n’en fut pas toujours ainsi. C’est Charles IX, guidé par sa mère Catherine de Médicis, qui, le 9 août 1564, publia, entre autres décisions, celle de faire commencer l’année le 1er janvier. C’est l’Édit de Roussillon, préparé et signé dans la ville de Roussillon, par, entre autres,  Michel de L’Hospital (voir un précédent article du Mag@zoom à propos de cet homme bienveillant quoique méconnu : ici). Auparavant, le début de l’année variait selon les provinces : à Lyon, c’était le 25 décembre, à Vienne, le 25 mars, ailleurs encore le jour de Pâques… L’ Empereur  Charles Quint avait déjà fixé le début de l’année au 1er janvier dans son royaume. Et en 1622, le Pape Grégoire XV applique cette mesure à l’ensemble de la chrétienté. Il poursuit ainsi l’œuvre de son illustre prédécesseur, Grégoire XIII, qui s’était attaqué à la réforme du calendrier. Sur les tribulations du calendrier et du temps, voir, encore, un précédent article du Mag@zoom : .

Exemple de calendrier grégorien du XIXème siècle.
Exemple de calendrier grégorien du XIXème siècle.

POURQUOI TANT DE POISSONS ?

Comme le début de l’année coïncidait donc autrefois avec le printemps (grosso modo mars avril), les gens avaient l’habitude de s’offrir des petits cadeaux, comme nous le faisons encore parfois, et qu’on nomme étrennes. Cette tradition des petits cadeaux a perduré, mais c’était « pour rire ». Et la farce ou le canular est un geste traditionnel ancien : les Romains avaient leurs hilaria, fêtes fixées aux alentours du 25 mars… En Occident, et en Amérique du Nord encore aujourd’hui, cette période correspond à la « fête des fous » qui remonte au Moyen Âge. C’est le «April Fool’s day» (jour des fous d’avril) ou «All Fool’s day» (jour de tous les fous).

Combat entre Carnaval et Carême, Brueghel l'Ancien, 1559.
Combat entre Carnaval et Carême, Brueghel l’Ancien, 1559.

Et puis, mars-avril : cette période marque l’ouverture de la pêche en eau douce. Le lien entre 1er avril et poisson collé dans le dos est peut-être à trouver ici… À moins qu’il ne faille rapprocher cette tradition de celle de Pâques, qui met fin au Carême : on sait que le poisson a une importance symbolique pour les Chrétiens. Le poisson étant le signe de reconnaissance des premiers fidèles du christ. L’ichthus chrétien, ce dessin représentant un poisson, est un acronyme de « Christ »

Ichthus : signe de reconnaissance des premiers chrétiens.
Ichthus : signe de reconnaissance des premiers chrétiens.

Et puis le poisson, c’est le dernier signe zodiacal de l’hiver : on marque ainsi par cette fête, qui rappelle des rites d’inversion anciens, un passage calendaire, passage de l’hiver au printemps, de la stérilité à la fertilité, de la pénombre à la lumière…

Le 1er avril, tel qu’il se célèbre aujourd’hui, est un héritage de toutes ces traditions. Ce qui paraît commun, c’est l’idée du rite de passage, pour rire…

image 1

image 2

image 3

image 4

11 MARS 2011 : FUKUSHIMA

Au moment où on parle d’enfouir 80 000 tonnes de déchets radioactifs sur la zone de Bure dans la Meuse, il faut plus que jamais rappeler les dangers auxquels les populations s’exposent…. Souvenons-nous. Souvenez-vous…Vendredi 11 mars 2011. Début d’après-midi. Fukushima. Japon. La terre tremble. La mer mugit. Et c’est la catastrophe. Nucléaire. Fukushima, Récit d’un désastre, de Michaël Ferrier, raconte la descente aux enfers du peuple nippon. Témoin direct, involontaire, de la catastrophe, il raconte cette fin du monde en trois temps : séismes à répétition, tsunami, cataclysme nucléaire.

UNE CATASTROPHE ANNONCÉE

Ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de lettres, docteur ès-lettres de l’université Paris-Sorbonne, Michaël Ferrier est professeur à l’université Chuo de Tokyo, au Japon. Sa vie est là-bas. Son amour est là-bas : Jun, qui partage sa vie et sa passion pour le Japon.  Le 11 mars 2011, ils sont les témoins directs de la catastrophe. Le Récit d’un désastre est inédit. Il n’aurait pas dû exister. Il existe. Et c’est l’œuvre la plus diffusée de son auteur. Il aurait préféré peut-être que ce soit un autre de ses romans. Mais celui-ci raconte l’indicible. Extraits :

« Cela fait 80 millions d’années que ces plaques [les plaques tectoniques] se frictionnent. Aujourd’hui, ce vieux conflit s’est réveillé. Les répliques s’enchaînent à une cadence folle. La terre tremble. La terre tremble. Le vendredi 11 mars : 78 séismes. Le samedi 12 mars : 148 séismes. Le dimanche 13 : 117 séismes. (…) Paul Claudel, lui, trouve pour le dire les mots justes et l’image exacte : ″A tout moment, à midi, au théâtre, pendant le repas, la main mystérieuse intervient. Elle saisit le Japon au collet, elle lui rappelle qu’elle est là.″ Ici, en une semaine, on en est à plus de 400 répliques. Un tremblement de terre magnitude 5 minimum toutes les 17 minutes… Et c’est dans ce pays qu’on a construit 54 réacteurs nucléaires. » 

Michael Ferrier, Fukushima, Récit d'un désastre (2012)
Michael Ferrier, Fukushima, Récit d’un désastre (2012)

Inconscience meurtrière de ceux qui ont installé des centrales nucléaires sur une terre fragile. Ce mois de mars 2011, les éléments se déchaînent sur le Japon : la terre tremble, un tsunami engloutit tout ce qui vit sous un déluge d’eau, le feu brûle infiniment dans les réacteurs de la centrale, et l’air qu’on respire devient poison, et tue lentement.

L’île principale de l’archipel semble avoir glissé de plus de deux mètres et l’axe de rotation de la Terre s’être déplacé de dix centimètres, alors imaginez ce qui s’est passé avec les maisons (..) le séisme du Tohoku a libéré une énergie 24 mille fois plus forte que la bombe atomique larguée en 1945 à Nagasaki.

Les mots disent l’énormité, l’aberration, l’horreur aussi vécue pas les populations victimes à la fois du cataclysme naturel et de la catastrophe nucléaire. Énormité, aberration, horreur. La Terre. La Mer. Le Ciel. Ou comment le monde devient fou. Baudelaire et Claudel se cassent la figure de la bibliothèque. Des bouts du ciel nous tombent sur la tête. Les murs tremblent. Le sol tremble. Tout est sens dessus dessous. Et la mer vient engloutir le tout. Comment dire la vague haute de trois étages ? Comment dire ce déferlement vertigineux : la vitesse d’un tsunami est de 360 km /h pour 1km d’eau ; à 5 km du rivage, les vagues sont encore à 800 km/h … à 500 mètres, c’est l’équivalent d’un TGV ( 250 km/h) qui se lance sur la plage… Comment dire « les corps, les cris, la lente agonie (…) le bruit de l’eau (…) l’écharpe de boue, la strangulation liquide », les amas de voitures, de bateaux, de maisons, les objets, le verre, le bois, les métaux, toutes ces choses du quotidien des hommes entremêlées dans une danse stagnante et macabre. 25 millions de tonnes de débris, sans compter les véhicules… Comment ?  Cadavres à la dérive d’un déluge qui charrie êtres et choses dans son cortège boueux et funèbre.

Citons encore Michaël Ferrier :

À l’heure où je trace ces lignes, le tsunami continue son chemin à travers l’océan pacifique. Les vagues iront se perdre l’an prochain sur les côtes américaines, et arriveront jusqu’en Antarctique où, après un voyage de 13 000 km, elles feront encore trente centimètres et seront encore assez puissantes pour fissurer et faire s’effondrer de gros blocs de glace. Ou encore ce détail, que me rapporte un géologue rencontré dans un restaurant de Fukushima : les cartes de la région sont toutes à revoir, car de nombreux éléments du relief (côtes, criques, collines…) se sont déplacés.

LA DEMI-VIE

Et le récit s’achève ainsi, dans la poésie du tragique :

L’eau, le vent, les feuilles.

L’herbe, les champignons, les baies.

Se rouler dans l’herbe.

Sentir la pluie sur son visage, au petit matin – odeur de vin et d’algue – dans une rue de Tokyo.

Voici quelques échantillons de ce qui, petit à petit, nous devient de jour en jour un peu plus interdit. La pluie tombe, mais ce n’est plus la pluie. Le vent souffle, mais ce n’est plus le vent : il porte avec lui le césium et non le pollen, des bouffées de toxines et non des parfums. La mer, tout en continuant à rugir, devient muette de terreur.

Depuis le 11 mars, une expression s’est répandue comme une traînée de poudre : la « demi-vie ». Elle est autour de nous, on ne parle plus que de ça désormais. La demi-vie des éléments radioactifs que les réacteurs nucléaires diffusent par panaches. La demi-vie n’est pas une moitié de vie. La demi-vie est la période au terme de laquelle un de ces produits aura perdu la moitié de son efficacité ou de son danger. Cela peut se compter en jours, en années, en siècles ou en millénaires…

Une femme et sa fille priant pour les millions de victimes de la catastrophe de Fukushima. REUTERS/Kim Kyung-Hoon (JAPAN)
Une femme et sa fille priant pour les millions de victimes de la catastrophe de Fukushima. REUTERS/Kim Kyung-Hoon (JAPAN)

Il faut lire et relire le récit de Michaël Ferrier, paru aux éditions Gallimard en 2012, et disponible en format de poche. Il faut éveiller les consciences.

image 1

image 2

 

CAVIAR, POISSON STAR

« Mémoire d’éléphant, voix cristalline, écailles scintillantes et sourire bright ». Voici le portrait de Caviar, star du dernier opus pour la jeunesse de Justine Jotham. Et pourquoi pas faire chanter un oiseau plutôt ? Trop facile ! Faire chanter un poisson, voilà un défi à la hauteur des talents de l’auteure dunkerquoise. Et défi relevé ! Depuis le 7 février dernier, Caviar chante et enchante tous ses lecteurs et a trouvé sa place dans la collection « Nos amies les sales bêtes » des Editions du Poulpe. Caviar… pas si sale et pas si bête que ça…

Portrait de Caviar, poisson star.

Caviar poisson star, c’est d’abord une photographie intéressante de notre société… Un père macho qui travaille beaucoup, Jean Bernard. Une maman qui travaille beaucoup, aussi, Prunelle… Une grand-mère qui ne s’entend pas avec son gendre et atteinte de la maladie d’Alzheimer, Mémé. A l’école, c’est pas mieux. Madame la Directrice ne connaît pas la bienveillance. Quand Léopold apporte son poisson en classe, elle invite les autres élèves à se moquer de ce pourtant si touchant duo. On appelle ça du harcèlement aujourd’hui. Ici, il est même encouragé :

« Caviar ? HA HA HA ! Vous avez entendu ça, les enfants ? Qu’est-ce que c’est que ce nom ?

– Bouh ! Léopold ! La honte ! HA HA HA !!! HA HA HA !!! s’esclaffent les élèves en pointant du doigt le marmot dépité.

Léopold observe ses pieds et ses baskets trop petites aux lacets défaits. Défait, il l’est aussi – abattu, rompu, vaincu. Ses iris joliment bleutés se noient dans les larmes et son regard est vague et translucide. Je sais bien que, par principe, je n’aime pas les mouflets, mais Léopold est différent dans sa fragilité. Différent…

Justine Jotham a des souvenirs malheureux de l’école maternelle, nous confie t elle… Enseignante quelques années en collège, elle a eu le temps de se forger une opinion : « Je ne suis pas sûre que les enfants soient heureux à l’école, heureux de ce qu’on leur propose. Malgré l’illusion de « bienveillance, d’ « ouverture »  » et de « confiance »…

Justine Jotham, Maître de Conférences en Littérature à l’ULCO Dunkerque, et auteure jeunesse.

Sous la plume de Justine, c’est Caviar qui raconte. Star de la chanson. Et star du récit. Poignante, la solitude du petit Léopold. C’est Mémé, qui perd la boule, et Goldy, rebaptisé Caviar, qui vont, vous l’avez compris, combler ce vide affectif.

Goldy, c’est son premier nom, nom d’artiste, du temps où il partageait la vie et la scène avec Miss Silver, vedette de la chanson, apporte gaieté et amour dans la vie du petit héros. Chaque chapitre s’ouvre en musique… Et on s’amuse à reconnaître ici ou là des airs connus cachés dans les paroles retravaillées de Caviar Poisson Star :

« C’est la java des aieux,

La plus belle des ritournelles… »


Comme chez Beaumarchais, tout finit avec de l’amour et des chansons…

Mais chut ! Je n’en dis pas plus. A vous de découvrir l’histoire…

Caviar… à déguster !

Un narrateur chanteur. Une auteure musicienne. Cela va de soi. Tromboniste à l’Orchestre Semper Fidelis, Justine Jotham voue une adoration pour Le Lac des Cygnes de Tchaïkovski. Elle passe du temps sur sa batterie électronique ; la Mémé de Léopold est d’ailleurs percussionniste sur batterie… de cuisine ! Cette Mémé est attachante dans sa folie douce ; elle est née des souvenirs que Justine a de sa propre grand-mère, qu’ un AVC a rendue aphasique, mais qui gardait une mémoire intacte pour fredonner les chansons de carnaval…

Pédagogue née (elle est Maître de Conférence en littérature à l’ULCO Dunkerque), Justine met aussi un point d’honneur à parsemer son récit de références scientifiques, littéraires, et culturelles d’une manière générale. Et toujours avec humour… Ainsi Caviar est un « cyprin doré », non un vulgaire poisson rouge, et son anatomie est détaillée au fil des pages, entre « branchies », « ouies » et « mâchoires pharyngiennes ». On apprend dans la bonne humeur que « ce qui monte doit nécessairement redescendre », et les notes de bas de pages sont succulentes :

Méphistophélique : adjectif qui veut dire diabolique, mais j’aime bien ce mot, parce qu’il fait peur et que ça en met plein la vue (…)

« les vieilles personnes qui « se hâtent avec lenteur » : c’est ce que dit La Fontaine de La Tortue qui se mesure au Lièvre dans sa fable (…)

« Alzheimer a ses raisons que la raison ignore, disait le philosophe… »

Le texte se suffirait à lui-même, Justine jouant aussi sur la taille et la morphologie des caractères utilisés… Mais il est rehaussé par les illustrations de Perceval Barrier, qui a su, sans concertation nous a confié Justine, trouver les images collant parfaitement aux mots…

Bref, ce récit, comme les précédents, est un régal pour les lecteurs de 7 à 77 ans. Vous ne connaissez pas les précédents ?! Allez vite voir, pour découvrir Qui veut la peau d’Otto Dafé ? Et ici vous serez tentés par les aventures de Zénobie Abernathy, dont le tome 2, A la Recherche du Big Louchard, est sorti récemment…

La suite des aventures de Zénobie Abernathy…

Et pour rencontrer la belle Justine, insomniaque qui écrit, pour peupler ses nuits et les imaginations de ses lecteurs de personnages plus attachants les uns que les autres, allez voir dans les librairies de la région… Elle s’y promène pas mal en ce moment…

Justine Jotham est à La Mare aux diables à Dunkerque, samedi 16 février. L’événement : ici.

Le site des Editions du Poulpe : .

La Page Facebook de Justine Jotham : ici.

images

UN CHAT NOIR PRESQUE CENTENAIRE…

Enfin, pas tout à fait. C’est celle qui a créé l’incontournable Bal du Chat Noir qui fête ses 98 ans cette année. L’association Les Quat’Z’Arts est à ce jour la plus vieille société philanthropique dunkerquoise. Et la vieille dame se porte plutôt bien.. Portrait d’une association au grand cœur.

Le célèbre Chat de Geluck, parodié par Philippe Sagot.

Le célèbre Chat de Geluck, parodié par Philippe Sagot.

PLAISIR ET CHARITE

C’est la devise de l’asso depuis sa création en 1921. Plaisir et Charité. Ce sont les carnavaleux qui depuis tout ce temps permettent aux Quat’Z’Arts de financer tant de belles actions philanthropiques. En s’amusant au traditionnel Bal du Chat noir, et en se payant des pintes…

Le Bal du Chat noir, édition 2019.
Affiche 2016.

DES QUAT’Z’ARTS, UN CHAT NOIR, ET UNE ECOCUP POUR BOIRE…

Une belle surprise, et écologique en plus … Willy Moreews, Président par intérim depuis septembre 2018, et son équipe, innovent. Font preuve de créativité. Les Quat’z’arts  écolo : finis les verres jetables, on garde son verre … Le Chat noir se met au vert…

L’ecocup du Chat noir ou Quand le Chat noir se met au vert…

UNE HORLOGE, DOUZE COUPS DE MINUIT ET DES TAMBOURS MAJORS

Ce qui fait le charme du Bal du Chat Noir, c’est cette immense horloge qui décompte le temps jusqu’au lancement officiel de la saison carnavalesque. Majesté  des Tambours Majors et de la clique pour le chahut de minuit. Et ça, c’est le cadeau annuel des Quat’Z’Arts…

Les douze coups de minuit du Bal du Chat noir, édition 2018…

LE CHAT  VIEZ-VOUS ?

Que sont Les Quat’Z’Arts ? Pourquoi Le Chat Noir ? 1921. L’association naît à une époque où de grands auteurs comme Proust, Gide, Mauriac ou Colette font la une de l’actualité littéraire et artistique, aux côtés de Modigliani, Chagall ou du Douanier Rousseau. Et c’est Henri Ferrari qui la fonde. Convaincu par la devise latine : mens sana in corpore sano. Un esprit sain dans un corps sain. Les arts, oui. Le sport, aussi. Et le don de soi, par dessus tout. Un homme ne peut se réaliser, selon ce bienfaiteur de l’humanité, que s’il s’engage et milite pour autrui. Henri Ferrari s’était déjà illustré en créant en 1899 la première équipe de football dunkerquoise. Au lycée Jean Bart. Dont il était un ancien. Il est aussi à l’origine de la section cycliste du BACD Malo Rosendaël. Il invente même la presse sportive régionale !

Il décide donc de mettre en pratique sa foi en l’humanité en donnant naissance à une association philanthropique et en organisant un bal dont les bénéfices seront reversés aux plus démunis. En 1921, Montmartre est le creuset des arts. Tout le monde connaît le cabaret Le Chat noir, fondé par Rodolphe Salis en 1881. Cest tout naturellement, donc, que les pères fondateurs de l’association, étudiants aux Quat’Z’Arts (sculpture, peinture, architecture et gravure) lancent le thème du cabaret montmartrois comme décor à leurs premiers bals. À l’époque, d’ailleurs, les bals « du Chat Noir » ont lieu au Café George, Place du Théâtre à Dunkerque. Les Quat’Z’arts inventent le bal philanthropique. Et adoptent leur mascotte : le Chat noir.

Affiche du célèbre cabaret montmartrois LeCHat noir, fondé par Rodolphe Salis.

Affiche du célèbre cabaret montmartrois Le Chat noir, fondé par Rodolphe Salis.

Du Palais Jean Bart à la Salle de la Concorde, en passant par le Normandie Dancing, la Salle des Pompiers ou le Casino de Malo, Le Chat se promène et draine de plus en plus d’adeptes.  Les masquelours se retrouvent depuis 1984, et chaque année, au grand Kursaal. Michel Gadeyne, un des membres de l’association, publie un magnifique ouvrage en 1996, pour les 75 ans des Quat’Z’Arts, retraçant l’histoire de cette belle société. Il en rappelle les motivations :

Le philanthrope n’étudie ni ne disserte. Il apporte son aide aux plus démunis (…) L’association veut rendre à ceux qui l’ont perdue leur intégrité d’homme.

Et depuis 98 ans, portée par d’illustres figures dunkerquoises comme Paul Asseman, Gustave Fontaine ou Paul Verley, la générosité des Quat’Z’Arts soulage la difficulté de ceux qui sont dans le besoin. Les Resto du Cœur, La Banque alimentaire, les associations tournées vers le handicap ou le 3ème âge… Ce sont autant de dons pratiqués chaque année, et générés, entre autres, par les recettes du bal. Entre autres. Car les Quat’Z’Arts sont présents sur d’autres événements dunkerquois : les après-midis récréatifs du Petit Kursaal pour les personnes âgées, Dunkerque en Survêt’, les dons du sang, le traditionnel Salon du Vin et de la Bière ou  l’inénarrable Cô Pinard’s Cup. Ils ont même innové en 2016 en s’intégrant à l’action d’Octobre Rose, le mois de la lutte contre le cancer du sein. Car ils ont beau être 48 hommes membres de l’asso (pour huit femmes), derrière chaque homme, il y a une femme qui œuvre… Il n’y a qu’à voir qui sont les bénévoles présentes sur ces différents événements. 80 000 euros ainsi reversés en 2015. 60 000 en 2017. 80 000 euros à nouveau en 2018… Et pas seulement à des assos. À des particuliers aussi. Les Quat’Z’Arts financent par exemple des équipements plus ou moins lourds pour des personnes handicapées. Venir en aide aux plus démunis. Pascal Houdot insiste : si vous êtes dans la difficulté, n’hésitez pas à déposer une demande d’aide au siège de l’association Les Quat’Z’Arts : Bastion 32  Courtine 5 Route des Anciens Chantiers de France, 59140 Dunkerque.

98 ans, les Quat’Z’Arts ! Ce qu’on peut leur souhaiter pour leur anniversaire ? Laissons répondre Pascal Houdot :

Ce qu’on peut nous souhaiter ? Que chat va bien pour les années à venir !

La page Facebook des Quat’Z’Arts : ici.

Notre précédent article, pour le bal extraordinaire à l’occasion des 95 ans du Chat noir : là.

image 1

image 2

image 3

galerie de 5 images : affiches du Bal du Chat Noir, aimablement transmises par Pascal Houdot, responsable de la Communication aux Quat’z’arts. Qu’il en soit remercié !